Chapitre IV
«Une Arme ? »
Alors comme ça, ils préféraient la tuer plutôt que de risquer qu’elle accepte d’aider l’autre parti ? C’était une lutte qu’elle trouvait inutile, entre deux partis qui avaient tout un monde à reconstruire mais qui préféraient lutter l’un contre l’autre. La haine qui avait engendré cette situation devait avoir été immense. Au point qu’ils ne rechignaient pas même devant l’idée de tuer des gens, aussi innocents soient ils. Parce que si elle avait fait quelque chose de mal, ou qui méritait qu’elle quitte cette terre, elle n’en avait jamais eu conscience. Oh, elle avait bien du ennuyer de nombreuses personnes de par sa présence, mais de là à vouloir la tuer... Au mot Arme, plusieurs expressions avaient été visibles, plus ou moins intéressantes. Tad avait doucement laissé glisser ses doigts le long du fil de la lame de son arme, une épée droite qui faisait presque la moitié sinon les trois quarts de sa taille. Les membres du cirque qu’elle connaissait ou reconnaissait tout du moins restaient de marbre ou se mordaient les lèvres. Leur réaction était neutre ou inquiètes. Certaines des personnes présentes semblaient par contre plus ennuyées par le sujet de la conversation qu’autre chose. Un homme habillé d’un habit noir lui allant parfaitement se leva de sa chaise, le regard courroucé.
« Will ! Nous avions convenu de ne pas ramener ce sujet sur le tapis. Nous ne sommes même pas sûrs que les Armes existent, tu n’as aucune preuve !
- Les Armes existent ! Je le sais, pour en avoir combattu une. »
C’est Tad qui s’était avancé, les yeux plissés, les lèvres légèrement relevées et laissant deviner une dentition plus pointue qu’elle n’aurait dû l’être. Elle ressemblait à une panthère en colère, prête à bondir sur sa proie. Cette vision n’effraya pas le dandy qui lui jeta un regard méprisant.
« Personne n’a autorisé la sentinelle à parler. D’ailleurs, il me semble qu’elle avait perdu ce combat, n’est-ce pas ? Si ce qu’elle raconte est vrai. Mais je pense plutôt qu’elle a fui devant la technologie adverse... »
Son ton était hautain, mauvais. Tad n’était qu’un animal sauvage à ses yeux, une chose trop dure à dompter et dont on aurait du se débarrasser pour ne pas craindre qu’elle vous poignarde dans le dos. Cette dernière le savait parfaitement, et prenait encore plus de gout à répondre à cet homme qu’elle détestait elle aussi, mais elle ne pouvait pas se venger comme elle l’aurait toujours voulu. Tout d’abord parce que ce n’était pas dans son code moral. Et ensuite parce qu’aussi odieux qu’il était, la Communauté avait besoin de lui. Stratège de génie, il n’y avait pas meilleur que lui pour deviner les prochains mouvements de l’ennemi et de le contrer. Dommage qu’il n’avait pas cette ouverture d’esprit qu’on lui demandait, et qu’il n’agissait non pas par sympathie ou par idéal, mais par vengeance. Tad allait répliquer, sa phrase déjà parfaitement claire dans son esprit, mais Will l’interrompit et l’empêcha d’agir :
« Tad, Thédric, il suffit. Cette question n’a pas à être abordée durant cette séance. Nous partons du doute qu’ils puissent exister. Et nous ne pouvons pas permettre à cette jeune demoiselle d’en devenir une, pas avec le potentielle qu’elle possède.
- Quel est ce potentiel que je possède ?
- Mais le potentiel de survivre, bien sûr. Lorsqu’on se lance dans une Opération, nous n’en demandons pas plus. »
Le potentiel de survivre. Alors ils l’observaient bien depuis toutes ces années, comme des scientifiques observaient une souris, la stimulaient et observaient ses réactions. Elle n’aurait pas pu dire de qui était l’idée originale, mais elle le voyait parfaitement tous agréer d’un seul mouvement.
« Alors ? Prendras tu part à l’Opération ? »
Twee lui jeta un regard bizarre. Il lui demandait ça comme ça, de but en blanc, alors qu’elle ne savait même pas de quoi il s’agissait. Lui demandait de choisir, en quelques secondes, entre mourir ou prendre le risque de mourir et devenir autre chose. Elle releva la tête et le fixa avec des yeux froids.
« Je refuse. »
C’était son premier acte de rébellion qui pourrait lui couter les vie, mais elle en avait conscience et elle acceptait les risques. Elle n’avait pas peur de mourir, elle vivait en dansant à côté de la mort depuis sa naissance. C’était une des choses que sa mère lui avait inculqué : il ne fallait pas avoir peur de la mort. On peut ne pas l’aimer, la rejeter, chercher à l’éviter, mais il ne fallait pas en avoir peur car elle n’était pas mauvaise. Oh, bien sûr, Twee l’évitait autant qu’elle le pouvait, bien évidemment, mais elle ne voulait pas que l’on choisisse ce qu’elle allait faire et ce qu’elle allait vivre sous prétexte qu’elle pourrait mourir si elle n’obéissait pas. Elle n’avait qu’une quinzaine d’années, mais si c’était pour vivre quelque chose qu’elle n’avait pas choisi, elle préférait encore mourir. Leid ouvrit de grands yeux et se plaça devant elle en ouvrant grand les bras :
« NON ! »
Elle recula d’un pas, étonnée. Leid avait l’air presque désespéré. Etait-ce, de nouveau, un acte pour la faire craquer, ou voulait-il réellement qu’elle survive ? Elle était partagée et ne savait plus qui croire. C’était comme le numéro du bon et du mauvais flic : et si tout ceci n’était qu’une pièce de théâtre pour qu’elle accepte ? C’était tellement possible. Tellement simple. Twee eut la surprise de voir Tad reculer d’un pas. Son épée brandie. Heurtant le bras du magicien. Elle s’était déplacée si vite qu’elle n’avait pas même remarqué le moindre mouvement, comme lorsqu’ils étaient sur les toits des immeubles, et maintenant elle était là, effrayée par le geste qu’elle avait fait. Leid abaissa son bras. Il était intact. Non, ce n’était pas vrai : le long manteau noir bleuté qu’il portait commença à se teinter de rouge sombre, mais le membre n’avait pas été tranché comme on aurait pu s’y attendre. Leid laissa doucement remonter sa lèvre supérieure. Ses yeux crachaient sa haine. Il tenait son bras de sa main intacte et dévisageait tout le monde avec un air un peu ravagé.
« Merde ! Attrapez le ! »
Twee ne vit pas qui avait jeté cet ordre, pas plus qu’elle ne reconnut la voix, mais elle vit tout de suite Tad se jeter en avant, son expression bien plus stable qu’avant. Son arme décrit un arc de cercle bien visible, avant de dévier au dernier instant pour attaquer de côté. Un coup fourbe, parfaitement exécuté, avec un timing impressionnant. Leid se jeta au sol à l’ultime seconde, roula en arrière en bousculant Twee et se redressa à demi. Il ressemblait à un loup solitaire acculé au fond d’un trou et cherchant à échapper à son destin. Il attrapa Twee sous son bras et se jeta sur la porte, la fracassant au passage. Ses mouvements étaient désordonnés et ils roulèrent sur le sol, mais avant que cette dernière ne puisse rien faire, Leid était déjà à moitié relevait et l’avait attrapé de nouveau, se jetant vers l’entrée. Derrière lui, il bousculait les meubles dans un grand bruit de porcelaine brisé, alors que le bois criait à l’injustice en bloquant le passage. Tad, remise de sa surprise, les poursuivait avec sa vélocité habituelle. Elle passait dans le couloir comme si les objets n’existaient pas, passant par dessus ou les esquivant avec grâce. Elle les rattrapait, Leid incapable de soutenir le rythme avec la Jeune Fille sous on bras et en essayant de lui barrer la route. De nouveau, elle jeta son épée en avant, tâchant d’atteindre l’homme qui s’enfuyait, mais de nouveau elle le rata alors qu’il se jetait d’un bond en avant, sous l’effet de l’adrénaline ou d’un sixième sens particulièrement efficace. Leid atteint en quelques secondes la porte qu’il franchit avec la même violence que la première, se rétablit in extremis et bifurqua violemment vers la droite, de là où ils étaient arrivés. Twee ne supportait pas de se faire trimballer ainsi contre son grès, mais au vu de la situation elle se contenta de s’agripper et de se taire. Elle ferma même les yeux quelques secondes, avant que sa curiosité ne prenne le dessus. Leid courait bizarrement, formant une sorte de ligne brisée imprévisible, passant à droite, à gauche, à gauche encore, pour revenir sur la droite, comme si le sol était pavé de mines. Elle ne comprenait pas pourquoi il agissait comme ça, ni quelle était la raison qui empêchait Tad, qu’elle avait déjà vu parcourir des distances bien plus longues en moins de temps encore, de les rattraper. Elle jeta un coup d’oeil en arrière et vit cette dernière les observer de l’entrée. Elle se préparait visiblement à les intercepter d’un bond précis, mais n’arrivait pas à se décider de la trajectoire à adopter. Oh, c’était donc pour ça que Leid perdait de la vitesse et n’allait pas tout droit. Il devait rester imprévisible. Tad leva son épée, et disparut. Twee fut projetée sur le sol avec violence, alors que Leid s’était retourné d’un bond pour parer un coup qui arriva très exactement au niveau de sa carotide. La Jeune Fille ne comprenait pas comment on pouvait passer aussi vite d’une conversation très simple à un affrontement à mort entre deux personnes. Tad était rapide et bougeait bien plus rapidement que Leid, mais ce dernier, armé de deux poignards très courts en comparaison de l’arme adverse réagissait instinctivement et réussissait à parer les attaques. A chaque instant, Twee s’attendait à le voir tomber, à s’écrouler, l’arme lui passant au travers du corps ou coupé en deux. Cependant, il tenait bon et réussissait même parfois à prendre l’avantage pour quelques rares secondes. Les coups s’enchainaient à un rythme frénétique. Les deux combattants exécutaient une danse sans fin, chacun tentant d’appliquer des blessures non seulement avec leurs armes, mais aussi avec tout leur corps.
Tad avait l’avantage d’une bien plus grande allonge, et se permettait ainsi d’attaquer tout en restant à une distance assez importante, mais Leid semblait deviner toutes ses attaques et les parait comme si il les voyait venir. Il bougeait à peine, mais tout ses mouvements étaient mesurés et utiles, lui apportaient un avantage ou supprimaient un inconvénient. Cependant, il ne pouvait tenir le rythme éternellement : une estafilade légère apparut sur sa joue, une seconde sur son bras blessé qui maintenant bien moins le rythme que son jumeau.
« Abandonne, Leid. Tu es blessé, tu ne pourras pas tenir le rythme : arrêtons nous là ! Tu sais que nous n’avons pas le droit de nous battre. Si l’un de nous meure, tout le monde en souffrira !
- Tu ne comprends pas, Tad. Tu ne peux pas comprendre. Et depuis que nous nous connaissons, je n’ai pas souvenir que tu m’aies battu une seule fois...
- Oui, mais les conditions étaient bien différentes... Ton bras gauche t’est presque inutile, et tu n’as pas ton arme favorite avec toi.
- Même dans ces conditions, je peux toujours gagner, tu le sais. Pars, laisse moi m’enfuir avec la petite.
- La petite ? Elle est plus femme que beaucoup ici. Regarde là ! Défier comme ça la Communauté, refuser un présent pour choisir la mort... Cela t’étonne-t-il qu’ils veuillent la supprimer ?
- Non. Elle a plus de potentiel que nous encore...
- Alors tu comprends mon entêtement. »
Ils discutaient, comme s’ils étaient autour d’un café, mais ils bougeaient plus vite que l’éclair, échangeaient des coups, comme deux chats jouant dangereusement. Leid récoltait de plus en plus de blessures, mais elles étaient toutes aussi insignifiantes les unes que les autres. Son sang commençait à parsemer le sol d’un tableau carmin. Les deux combattants haletaient. Tad était intacte, mais sa mine soucieuse en disait long sur les problèmes auxquels elle faisait face et qu’elle n’avait pas prévu. Elle recula d’un pas pour essayer de reprendre son souffle, mais Leid, d’un mouvement vif, prit l’avantage et se jeta sur elle, réduisant en un clin d’oeil la distance les séparant et la jetant à terre, rendant son arme inutile. Il l’immobilisa en un clin d’oeil, lui planta son poignard dans l’épaule, et se releva d’un bond pour attraper Twee et se remettre à courir. Il ne lui laissait pas le temps de s’en remettre : chaque micro secondes pouvait leur coûter la vie. Twee aperçut un mouvement du coin de l’oeil.
« SIAM ! VA T’EN ! »
D’un mouvement du bras, Lied écarta Siam qui n’eut pas même l’opportunité de faire un mouvement. C’est à ce moment que Leid couvrit les yeux de Twee et qu’elle ne put plus rien comprendre à ce qu’il se passait. Elle ne vit pas Leid disparaître. Elle ne se vit pas disparaître. Elle ne vit pas la lumière aveuglante qui éclatait aux alentours, les mouvements des ombres au loin alors que les renforts arrivaient. Elle ne vit pas Tad se relever et les rattraper d’un ultime mouvement inutile.
Non, elle ne vit pas tout ça.
Elle ne vit que le noir, alors que Leid la serrait contre elle à lui en faire mal, la ballottant de droite à gauche. Elle ne sentit que le sol dur alors qu’ils s’écroulaient, incapables d’aller plus loin. Et soudain, sa vue fut libérée, elle put de nouveau comprendre ce qu’il y avait autour d’elle. Eh bien. Il n’y avait rien. Rien d’autre que les rues telles qu’elle commençait à les connaître. Le monde cuivré et chaud qu’elle venait de quitter avait fait place aux bâtiments blancs et gris où se dessinait le schéma compliqué des arbres et arbustes. Ce même dessin qu’elle avait vu à l’aller, ce même dessin qu’elle ne pensait plus revoir de si tôt. C’était comme s’il s’était passé plusieurs jours pendant qu’elle arrivait et visitait la cité, alors que ça ne faisait que quelques heures... Le matin même, elle était encore au cirque, attendant patiemment que le temps passe, furetant partout, cherchant rien mais trouvant tout. Leid se laissa tomber au sol. Twee baissa la tête en arrachant quelques herbes, au sol.
« Lied... Je m’excuse d’avoir douté. Merci... Pour tout. »
Twee n’était pas très douée pour les mercis. Mais au moins, ça venait du fond du coeur... Leid la regarda et laissa échapper un petit sourire. Il avait mal, surtout au bras, mais ça n’était pas important pour lui à cet instant. Tout ce qui importait, c’était le petit sourire de Twee et, surtout, le fait qu’elle soit encore en vie. Oui, il l’avait mené là bas. Oui, il avait accepté qu’elle passe le test, qu’elle soit emmenée et qu’on lui pose un ultimatum. Cependant, personne ne lui avait jamais dit qu’elle serait exécutée ainsi, devant tout le monde, sans attendre un instant pour tenter de la faire changer d’avis. Après tout, elle lui avait semblé bien plus précieuse qu’une pièce dont on pouvait se débarrasser à son grès. Elle était tellement prometteuse. Après, lui aussi n’était qu’une simple pièce à qui, parfois, on demandait son avis car il pouvait s’avérer intéressant. Et puis, il était manipulé lui aussi : ils ne l’avaient pas mis au courant de la dernière partie au cas où très précisément elle était mise à mort. Pour ne pas qu’il réagisse de la façon dont il avait réagi. Un goût amer lui emplit la bouche à cette pensée. Ils n’en avaient réchappé que par pure chance, et parce qu’il avait bien fait attention à ce qu’ils le sous-estiment depuis toujours. Cependant, ils en savaient plus qu’il ne l’aurait voulu. Par exemple, il aurait pu trahir Twee. Après tout, elle n’était qu’une gamine qu’on lui avait confié au détour d’un chemin. Mais s’il ne passait pas tout son temps avec elle, il avait un devoir. Le devoir que lui avait confié la mère. Au début, il n’avait pas accordé beaucoup d’importance à tout ceci. Après tout, il ne l’avait connu que quelques jours, durant lesquels elle avait tenté de le rendre redevable envers elles. Mais ensuite, tout avait changé. Elle s’était sacrifié et lui avait sauvé la vie. Car ces balles qui avaient traversé son corps malade lui étaient destiné. Il aurait du, ce jour là, mourir. Ce jour là alors qu’il était avec Twee à regarder les étoiles, la volant à sa mère en croyant la sauver, il s’était mis en danger. Et il avait failli le payer très cher. Baisser sa garde signifiait la mort, il aurait du le savoir... Cependant, il n’avait pas pu se retenir. De laisser ses sens observer les alentours au lieu d’être constamment pointés sur ce qui l’entourait, ce qui le menaçait.
« C’est normal, Twee. C’est normal... »
Il cracha quelques gouttes de sang sur le sol. Il n’avait pas de blessures sérieuses, mais une fois Tad l’avait frappé au niveau du ventre avec la garde de son arme, et l’accumulation des blessures rendait la perte de sang dangereuse. Il respirait difficilement. Ca faisait longtemps, très longtemps qu’il ne s’était pas retrouvé dans une posture aussi dangereuse. Sa vie n’était pas en danger, mais il fallait désinfecter les plaies. Il n’aurait pas craché non plus sur quelques anti-douleur. Twee lui attrapa le bras et l’obligea à se relever. Il grogna de douleur, mais elle avait raison : ils devaient partir d’ici au plus vite. Tad était rapide, et légèrement blessée seulement : elle aurait tôt fait de sa vue de sentinelle de les repérer, et de quelques bonds les rattraper.
« Lied... Où sommes nous ? »
Il hésita à répondre, puis pointa un doigt droit devant lui :
« Là bas, c’est le cirque. Nous sommes tout à l’Ouest. Et nous devons aller au nord.
- A l’Organisation ?
- Ah, alors tu sais ? Oui. Nous devons aller là bas. C’est l’endroit où tu seras le plus en sécurité.
- Mais tu fais partie de la Communauté.
- Ils ne me tuerons pas.
- Ne pouvons nous pas simplement retourner au cirque ?
- C’est trop loin. Trop dangereux. Mad Circus est l’endroit le plus neutre de cette ville, mais du coup le plus infesté de complots. Tu aurais tôt fait d’y mourir. »
Elle n’avait jamais vraiment vu la situation ainsi. C’était étrange de se dire qu’elle serait plus en sécurité chez ceux que Leid considérait comme des ennemis. Cependant, ce n’était pas aberrant : ils avaient, eux aussi à ce qu’elle avait compris, besoin d’elle. Elle soutint Leid en essayant d’avancer droit vers le nord. Chemin faisant, elle lui posa quelques questions. Elle voulait comprendre...
« Lied... Pourquoi suis-je si importante ?
- Parce que tu peux survivre.
- Mais tout le monde peut survivre !
- Non, Twee. On ne peut pas faire passer l’Opération à tout le monde. Seuls ceux qui se proposent. Et ceux qui sont sélectionnés.
- Je ne me suis pas proposé.
- Pour toi, c’est différent. Tu n’es pas d’ici.
- Mais qui est d’ici ? Ce ne sont que des personnes qui sont arrivées ici par hasard !
- Oh non, pas le hasard. Ils ne sont que peu à n’avoir pas fait partie de l’Organisation ou de la Communauté avant le retournement. Tu n’es pas loin d’être unique, Twee...
- Reste-t-il si peu de personnes sur terre ?
- Je l’ignore. Je suppose que certains se sont rassemblé dans certains endroits, comme les grandes villes de New York, Los Angeles, ou très sûrement en Palestine.
- New York, Los Angeles ? La Palestine ?
- Les deux premières car ce sont d’immenses villes. La Palestine à cause de son caractère religieux. Tu ne connais pas la religion... C’est quand un groupe de personnes croit en une ou des entités supérieures qui gouverneraient ce monde.
- Un peu comme la communauté avec moi ? »
Cette réponse rendit Leid mal à l’aise. C’était exactement ce qu’il s’était passé, sauf que Twee n’avait jamais eu le choix de croire ou pas. On lui avait seulement imposé un chemin, et le seul acte de rébellion qu’elle avait envisagé avait failli se solder par sa mort. Leid se demanda pourquoi ils avaient été si prompt à vouloir l’éliminer.
« Quels sont les critères de sélection à l’Opération ?
- L’Obéissance, et la Survie. Ce sont les points clés.
- ... Je ne me rappelle pas avoir été obéissante.
- Tes points de survie sont déjà bien assez élevés.
- On dirait un jeu. Avoir les capacités suffisantes. Comme si c’était gravé dans du granit. Tu es un... Opéré ?
- Oui. On nous appelle les Boucliers, comme les opérés de l’organisation sont les armes. Ca nous donne le sentiment d’être dans le droit chemin. Ce qui est totalement faux, bien entendu.
- Faux ?
- Dans cette guerre, Twee. Personne n’a raison. C’est juste une haine folle entre deux groupes qui a dégénéré. Une folie.
- Que cela fait-il d’être un Bouclier ?
- ... J’espère que tu ne le sauras jamais. Nous ne sommes plus totalement humains. Mais pas totalement des monstres.
- Je ne comprends pas.
- Tant mieux. »
La conversation s’arrêta là. Il y avait plein d’autre choses qu’elle aurait voulu savoir, mais elle ne pouvait plus avancer et parler en même temps. Le soleil frappait fort, malgré les nombreuses ombres générées par les arbres et les bâtiments, et Twee se rendit compte de nouveau qu’elle n’avait plus l’habitude de la route. Cette dernière, aussi explosée qu’elle l’était deux, trois, quatre ans auparavant, était difficile à parcourir. Lied ne voulait rien dire, ne laissait rien échapper, mais il s’appuyait sur Twee pour marcher et n’avait pas le pas sûr. S’ils continuaient ainsi, ils en avaient pour des heures avant d’atteindre l’Organisation. Twee s’arrêta et pointa un bâtiment :
« Arrêtons nous ici. Tad ne peut pas voir à travers les murs, n’est-ce pas ?
- Non, mais regarde le sang que j’ai perdu... C’est comme indiquer notre position avec des fanions rouges, pour elle. Elle a été particulièrement bien réussie, comme bouclier, tu sais ? Continuons. »
Twee soupira. Ils n’étaient peut être pas loin, mais c’était difficile. Elle se remit en marche, lentement, sûrement.
« Ne t’inquiète pas, Twee. Ils devraient bientôt nous repérer, et sûrement nous récupérer, un peu comme avec Tad. Enfin, je suppose. »
Rassurant. Elle espérait simplement qu’ils ne prendraient pas le parti qu’elle ne valait pas le coup, ou qu’ils ne croient pas qu’ils essayaient d’envahir la base de l’intérieur, ou ça pourrait devenir problématique. Cependant, elle continua juste d’avancer sans dire un mot. C’était la seule chose à faire. Longtemps, ils marchèrent.
De tout le temps qu’elle avait passé sur la route, elle ne se souvenait pas d’avoir passé un jour aussi triste et morne. Oh, la vie n’était pas belle tous les jours, et certains hivers la route vous semblait aussi attirante qu’une pièce gardée par un chien tricéphale. Mais il n’y avait pas cette tension, ce froid silence, cette attente. Si Tad débarquait, ils ne pouvaient que mourir. Si Tad débarquait, elle ne ferait qu’une bouchée d’eux. Et s’ils n’étaient pas repérés avant la tombée de la nuit, ils seraient obligés de s’arrêter, la route étant impraticable de nuit. Et s’ils s’arrêtaient, ils seraient découverts. De plus, les bruits commençaient à devenir effrayants. Twee n’avait jamais eu très peur de ce qu’elle pouvait entendre, son esprit rationnel lui indiquant qu’il ne s’agissait là que de quelqu’insecte ou animal errant, si ce n’était le vent dans les branches. Mais en cette fin d’après midi, alors que le jour baissait lentement, tout devenait effrayant. Lorsqu’on sait qu’une personne capable de vous tuer en moins de temps qu’il ne faut pour le dire vous suit, chaque bruit devient effrayant, révélateur d’une présence malsaine. La voyant réagir à chaque son, Leid passa sa main dans ses cheveux et les ébouriffa doucement.
« N’aies pas peur, Twee. La peur n’évite pas le danger. »
Pas de « On ne risque rien » ou de « Je te protègerai » dégoulinant, non, juste le bon sens. Ca ne servait à rien d’avoir peur. Cependant, parfois, on ne choisit pas d’avoir peur... Twee tenta de se détendre un peu. Y réussit légèrement. Elle regarda autour d’elle. Il commença à neiger lentement, de gros flocons blancs les entourant rapidement. Il n’y avait pas de vent, les flocons tombaient à la verticale et sans un bruit. C’était comme s’ils invoquaient le silence, car dès qu’il commença à neiger, l’ambiance sembla devenir plus feutrée, plus agréable. C’était comme si un voile de silence venait de se poser autour d’eux.
Voile de silence qui fut brisé par la voix douce de Tad.
« Enfin, vous voilà. J’ai mis plus de temps à vous trouver que je ne l’aurais dû. »
Twee et Leid tournèrent tous les deux la tête pour l’apercevoir qui les observait, calme. Elle n’avait pas à s’agiter : elle ne risquait ainsi que de faire des erreurs, alors qu’ils étaient à portée de main. Lied poussa Twee qui vacilla mais recula de quelques pas. Même dans cet état, c’était lui qui possédait le plus de chances de gagner contre Tad. Elle n’était qu’un handicap. C’était frustrant, mais elle en avait conscience. Leid se tenait à moitié avachi en avant. Il savait se battre, mais n’avait pas souffert de blessures depuis longtemps : la douleur s’oublie, la résistance s’amoindrit. Et puis, l’épaule de Tad était bandée mais il savait que ce n’était que de la poudre aux yeux : elle avait bénéficié de médicaments et n’avait plus rien. L’occasion était trop importante pour qu’on puisse se permettre de l’envoyer combattre blessée. Même si l’ennemi était Leid, blessé et armé d’un simple couteau. Tad sauta souplement au sol, soupira.
« Leid... Arrêtons ça. Je ne veux pas te tuer. Tu sais que je n’ai pas envie de te tuer. Rentrons ! Si la petite accepte, j’ai ordre de ne pas la tuer. Seulement de vous ramener. Mais si tu résistes...
- Tad, c’est toi qui ne comprends pas. Elle ne sera jamais d’accord... Elle n’est pas comme nous.
- Pas comme nous ?
- Non. Elle est forte. Et c’est pour ça qu’ils la veulent.
- Désolé Leid. Je ne comprends pas.
- C’est pour ça que tu es sentinelle, Tad.
- Je t’emmerde, Leid. Je t’emmerde. Et désolée... »
Agressive et désolée à la fois... C’était un curieux mélange. Elle plaça sa lame devant elle. Leid attrapa son poignard et le tint fermement dans sa main. Il suffisait de pas grand chose, un rien, une erreur pour qu’il puisse gagner. Lorsqu’elle s’était retrouvé à terre, devant lui, il aurait du la tuer : leurs problèmes auraient été réglés. Mais non, il savait que quelles qu’aient été les circonstances, il n’aurait pas pu la tuer. C’était une amie avant tout... Ou en tout cas, elle l’avait été. Et visiblement, elle n’avait plus de telles préoccupations à présent. A vrai dire, c’était sa tête aussi qu’elle jouait : les Boucliers étaient rares et précieux, mais on leur faisait très vite savoir que s’ils n’obéissaient pas, il était simple de se débarrasser d’eux. Qu’ils étaient utiles mais pas nécessaires. Tad savait parfaitement cela, et ne s’en offusquait pas : pour elle son devoir passait avant tout. C’était surtout pour son obéissance qu’on avait accepté qu’elle passe l’Opération. Pour Leid, c’était un peu différent : c’était une expérimentation. Un Zéro, comme ils les appelaient. Lui, c’était pour sa survie qu’on l’avait modifié, qu’on avait accepté qu’il soit modifié. Et puis, ça n’était qu’un gosse comme à autre, au début, on ne lui avait pas vraiment demandé son avis... Mais c’est une autre histoire, qui vous sera conté à un autre moment, lorsque le temps sera venu. Lied serra plus fort encore le manche du coutelas. Les paris n’allaient pas en son sens : il y avait une grande probabilité qu’il meure ce soir. Cet après midi. Enfin, ce jour là. Malgré tout, il ne voulait pas lâcher de terrain. Car s’il reculait, il n’y aurait personne pour se tenir entre Tad et Twee. Et alors, ce serait la fin pour la Jeune Fille au Manteau Rouge. Tad leva lentement son arme. Elle avait la lenteur de ceux qui exécutent un numéro, de ceux qui dansent pour les autres, de ceux qui donnent du spectacle. Modifia légèrement son équilibre.
Une balle l’atteint à l’épaule.
Elle eut un cri de surprise, lâcha son arme, se jeta dessus pour pouvoir réagir à cette attaque venant de nulle part, quand quelque chose la bouscula. Elle vacilla, tenta de rétablir son équilibre, mais ce qui l’avait attaqué poussa à son avantage et lui attrapa le bras. Commença à serrer.
De forme humaine, ça ressemblait à une sorte de robot. Comme si on avait créé un humain de longues plaques blanches, rejointes par des fils électriques entourant des genoux. En fait, ça ressemblait plus à une combinaison qu’à un robot. Cette chose, faite visiblement pour le combat, devait abriter quelqu’un, et cette personne serrait dangereusement le bras de Tad. S’il continuait, elle serait sûrement incapable de l’utiliser de nouveau. La tête de la chose n’était autre qu’un casque avec une visière prenant au moins les trois quarts de la sphère, d’un bleu éclatant irisé. La chose n’exprimait aucune expression, juste une froide exécution. Elle s’arrêta de serrer, gardant juste le bras entre ses doigts métalliques. Tad ne pipait mot, son teint halé ayant fortement pâli.
« Va t’en d’ici. Ce sont les terres de l’Organisation Z. »
La voix était curieusement humaine. Féminine, sans l’ombre d’un doute, douce et piquante à la fois. Cependant, la menace était toujours réelle. Tad était en passe de voir son bras broyé par cette demoiselle qui devait faire les trois quarts de sa taille et la maintenait fermement au sol. Elle gronda doucement, à la façon d’un animal sauvage, ce qui déclencha un rire grinçant de la demoiselle en armure.
« Lâche moi. Je pars. »
Elle acceptait bien vite... Cette situation lui convenait. Elle lui permettait de rentrer à la base sans avoir tué Leid ni la petite, et ceci sans se faire réprimander non plus. C’était une sorte d’échappatoire qui s’offrait à elle. L’Arme, car c’en était sans aucun doute une, recula d’un pas, relâcha le bras qui avait tourné au bleu là où les doigts avaient fait pression. Ils ne pouvaient rien voir sous sa visière, mais Twee aurait juré qu’elle souriait, fière du résultat. Les affrontements ne devaient pas être courants, les victoires encore moins... Tad ramassa son arme et tenta d’attaquer son adversaire d’un mouvement tournant. Cette dernière réagit assez rapidement pour parer, et jeta son poing en avant pour répliquer. Cependant, Tad avait déjà disparu. Elle voulait juste tester sa force face à l’Arme, mais n’osait pas insister, pas avec une blessure pareille à l’épaule. Cette dernière saignait, et bien que Tad ne le montrait pas, elle devait souffrir horriblement. De plus, c’était la même épaule qui avait souffert quelques heures auparavant. Elle eut un sourire torve et jeta un poignard en direction de Lied avant de disparaître définitivement, trop rapide pour pouvoir être suivie par l’oeil humain. Leid ne bougea pas, écarta les bras même, s’apprêtant à recevoir l’arme, mais le robot intercepta cette dernière avant qu’il n’y ait de dégâts. Il s’agissait de la seconde arme du Magicien. Ce dernier, étonné, réceptionna ce présent étrange lorsque le robot la lui lança dans une parabole impeccable.
« Nous ne pouvons pas nous permettre de vous perdre à ce stade de l’opération, Sieur Leid. »
Le robot regarda aux alentours, puis retira son casque. Sous ce dernier, un joli minois apparut. De grands yeux verts encadrés par de longs cheveux noirs pétillèrent. C’était une jeune femme qui devait avoir dans la vingtaine, des yeux rieurs et qui éclatait de santé. Elle posa le casque contre sa hanche et leur tira la langue :
« Alors, on change de bord ? Les rats quittent le navire ? »
Twee eut une moue renfrognée. Bien qu’elle leur avait sauvé la vie, elle ne l’aimait pas. Toute cette vivacité, cette joie de vivre, c’était comme si elle n’avait pas réalisé l’état dans lequel était le monde dans lequel elle vivait. Comme si elle niait l’horreur de ce qu’elle vivait. Elle tuait des gens ! Comment pouvait-elle sourire ainsi et parler comme si de rien n’était ? Et comment pouvait-elle se moquer d’eux ?
« Oh allez, j’déconne ! Ramenez vous la couenne, tout le monde vous attend. »
Et voilà. De nouveau, on l’obligeait à faire ce qu’elle n’avait pas envie. De nouveau, elle devait suivre. Cependant, cette fois, elle ne pouvait pas refuser l’offre, pas sans mourir. Résignée, elle attrapa le bras de Leid et commença à avancer derrière la jeune femme. Cette dernière rit.
« Bon allez, je déconne, on va pas y aller à pied c’est trop loin. Notre fameux destrier nous attend derrière le coin, là bas. »
Elle se détourna et se dirigea vivement vers un bâtiment semblable à tous les autres. Cependant, elle sortit une télécommande d’une de ses poches et appuya sur un bouton. Un clic se fit entendre, désactivant ce qui devait être une illusion, et laissant ainsi apparaître un... Vaisseau. Oui, elle ne trouvait pas d’autres mots pour décrire ce qui se tenait devant elle. C’était de forme oblongue, comme une sorte d’oeuf avec des excroissances sur les côtés portant d’énormes propulseurs. Enfin, ça ressemblait beaucoup à des propulseurs. Ou à l’idée qu’elle se faisait des propulseurs. Leid appuyé sur sur épaule, elle s’approcha rapidement, intriguée. Un énorme écran prenait la première moitié du vaisseau, irisé, semblable à la visière du casque de la jeune femme. Cette dernière appuya sur un second bouton, et une porte, à peine discernable, s’ouvrit et laissa un long rectangle noir sur la carlingue immaculée. La jeune femme s’approcha et franchit d’un bond la distance pour atterrir sur le plancher de la machine. Twee s’arrêta juste en dessous de l’ouverture. Elle était bien trop petite pour entrer et aider Leid à entrer, mais avant même qu’elle ne puisse songer à une solution la jeune femme les saisit chacun par un bras et les hissa. Comme s’ils ne pesaient rien. L’Arme lui offrit un sourire et les laissa tomber au sol, referma la porte et disparut dans les tréfonds du vaisseau avec une dernière parole :
« Touchez à rien qui clignote surtout ! »
Elle se fichait ouvertement d’eux. Alors que Twee en ressortait plus énervée encore, Lied réussit à laisser échapper un petit rire. Il était en environnement inconnu, pour des raisons de survie, avec Twee, gravement blessé, et il réussissait à laisser échapper un rire. C’était inespéré. C’était quelque chose de tellement rare, que de voir Leid rire, ou sourire. Twee le tira par la manche. A leur entrée, des lumières s’étaient allumées toute seules, réagissant à leurs mouvement : il s’agissait de petites lampes incrustées dans le plafond et délivrant une teinte froide, voir glaciale. La moquette d’un bleu turquoise n’aidait absolument pas à réchauffer l’ambiance générale. Au loin, une porte qui ressemblait plus à une sorte de portail dimensionnel se refermait. Sûrement le couloir menant à la pièce servant au pilotage. Très sûrement le genre d’endroit où elle ne voulait pas aller. Lied se laissa glisser au sol. Un léger vrombissement commença à se faire doucement entendre, et le sol vibra sous leur pieds. C’était absolument irréel. Autant la cité montrait la rénovation des vestiges d’un temps ancien, autant ce vaisseau montrait la science la plus pointue poussée à son maximum. Comme s’il avait eu besoin d’un retournement pour que les hommes aient la volonté et les moyens de laisser éclater leur art. Bien sûr, ils ne le savaient pas, mais ce bijou était tout à fait unique dans son genre, parfait pour leur en mettre plein la vue. Ils se posèrent contre une paroi et se laissèrent aller. Ils étaient fatigués. La journée avait été dure. Leid s’endormit presque aussitôt, sa main droite pressée contre sa blessure au bras gauche, ses nombreuses blessures laissant échapper encore quelques gouttes de sang par moments. Son habit bleuté était imbibé de sang en de nombreux endroits. Les blessures n’étaient pas sérieuses, mais dérangeantes. La moquette était légèrement tachée, elle aussi, maintenant. Dommage. Twee alla se poser juste à côté du Magicien, se recroquevillant sur elle même et cacha ses yeux dans sa manche. Elle en avait marre d’être trimballée partout, comme un vulgaire jouet. Elle voulait avoir la possibilité de décider, de choisir ce qu’elle pouvait faire. Elle se sentait incapable de se battre, et cette incapacité l’exaspérait. Cependant, pour pouvoir décider, il n’y avait pas beaucoup de choix qui s’offraient à elle. Soit elle restait ce qu’elle était actuellement, et continuait à subir ce qu’on choisissait pour elle. Sinon, elle pouvait choisir de faire demi tour et devenir un Bouclier. Accepter. En espérant qu’ils accepteraient qu’elle subisse l’Opération. Et tout en sachant qu’ils essayeraient par tout moyen de la contrôler, et qu’elle risquait de mourir. Ou alors, troisième option, elle essayait de devenir une Arme. Cette femme, bien qu’elle semblait un peu stupide, restait humaine. Et elle était forte. Mais elle ne savait pas ce qu’était une Arme, elle ne savait pas ce qu’il se passait véritablement. Elle ne savait pas même ce qu’était véritablement l’Opération. Elle ne savait rien, ils ne disaient rien. Elle voulait savoir. Mais le savoir était visiblement réservé à ceux qui choisissaient de s’engager sérieusement dans une voie.
Le vrombissement ne cessait pas. Elle sentit que la machine sous elle bougeait, mais elle était incapable de dire dans quel sens, de quelle façon, ni dans quelle direction. Elle était simplement à l’intérieur de ce gros oeuf blanc et attendait d’arriver à destination. Comme un européen en fond de cale d’un navire en partance pour l’Amérique. Comme un animal que l’on mène vers l'abattoir. Comme un chat qu’on trimballe dans un panier pour l’emmener chez le vétérinaire ou chez les grands parents. Comme un animal de compagnie. Twee, sur ces paroles, commença à perdre doucement le fil de ses pensées. Elle n’eut pas conscience de s’endormir, ni même de se réveiller, mais c’était comme si le temps, tout à coup, était passé plus vite. Illusion, réalité ? Incapable d’aligner deux pensées cohérentes, elle posa une main au sol et tenta de se relever, chancelante. Elle avait du s’endormir, en fait, faire un micro-sommeil. Les vrombissements n’étaient plus perceptibles, ils devaient être arrêté, ou alors peut être avançaient-ils à vitesse de croisière ? C’était impossible à savoir. Leid se réveilla et poussa un grognement désarticulé, pas encore totalement revenu à la réalité. Il bougea quelque peu, avant de lever violemment ses mains devant sa figure et d’ouvrir de grands yeux ronds avant de laisser retomber ses bras en se mordant la lèvre. Avec l’adrénaline, la douleur ne perce pas toujours. Mais lorsque les muscles refroidissent, lorsque l’enjouement retombe, tout est ressenti plus vivement. A la douleur provoquée par les nombreuses coupures s’ajoute la tensions apportée par les courbatures, la paralysie partielle imposée par le cerveau, cherchant à réduire la douleur ressentie. Lied s’immobilisa, tel une statue. S’il ne bougeait pas, la douleur était moins importante. Alors il arrêterait de bouger. N’y avait-il pas de tues-douleur dans cette saloperie de vaisseau suréquipé ? Sûrement, mais personne n’avait pris le temps de venir pointer son nez pour leur en apporter, ça non. Twee ressentait elle aussi vivement dans ses muscles son activité de la veille. Elle s’étira, et commença à faire un échauffement en règle pour ne pas être dans l’incapacité d’utiliser son potentiel à sa pleine mesure. Elle aimait bien cette sensation, le petit pincement éprouvé au niveau des muscles qu’elle faisait travailler.
Elle n’en était qu’à la moitié de son activité lorsque la porte du portail transdimentionnel, la porte quoi, s’ouvrit. La jeune femme qui leur avait sauvé la vie venait d’apparaître. Elle avait délaissé son armure au profits d’habits courants, plus communs. Un simple jean, un tee shirt blanc, des habits que Twee n’avait que très peu croisé, mais qui reflétaient parfaitement l’ambiance du vaisseau. En un peu moins classe. Cette dernière s’approcha d’un pas énergique, arriva près de Twee et l’embrassa sur les deux joues, au grand étonnement de celle-ci.
« Bonjour ! Bien dormi ? On n’a pas osé vous réveiller, vous dormiez si bien. En fait, j’ai du faire pression et seul le fait que je suis une Arme a prédominé sur le coup. Ils voulaient vraiment vous emporter ! Mais j’ai pensé que ce serait mieux de vous laisser le temps de vous requinquer. Bon, Leid, va peut être falloir s’occuper de ces blessures maintenant non ? »
Ce dernier était un peu dans les vapes. La douleur, le réveil, le dépaysement, ce n’était pas une surprise. Il la regarda avec des yeux vides. La jeune femme soupira.
« Entre Twee qui ne dit pas un mot comme si j’allais la mordre et toi qui donne l’impression d’être passé sous un rouleau compresseur, ça n’est pas très gai. »
Elle semblait prendre plaisir de les appeler par leur prénom, comme si c’était un privilège. Elle s’approcha de Leid et le hissa sur ses épaules comme si ce n’était qu’un vulgaire sac de farine. Il protesta vaguement, mais serra les dents et se contenta de jeter un coup d’oeil à la Jeune Fille au manteau rouge. Cette dernière fronça les sourcils et fit la moue, une expression qui semblait constamment collée sur son visage ces derniers temps, et suivit la femme robot qui partait d’un si bon train vers une porte de l’autre côté du couloir. Cette femme, sans même avoir son armure, était capable de porter Leid comme s’il ne pesait rien et de se déplacer aisément cela faisant. Être Arme ne se réduisait visiblement pas à porter une armure et à se battre. Ce devait être la raison pour laquelle il y en avait si peu. C’était comme l’Opération. C’était quelque chose qui se savait, qui se murmurait, qui existait, mais seuls ceux qui l’avaient subi se rendaient pleinement compte de sa profondeur. La jeune fille suivait cette femme dont elle ne connaissait même pas le nom. Cette dernière passa un palier, deux, trois, s’enfonçant dans les entrailles du vaisseau comme si ce dernier était immense. A chaque porte, elle pianotait doucement sur une petite commande murale. A chaque porte, un code différent était demandé, et à chaque porte elle le fournissait sans même y penser, comme si ce n’était qu’une formalité. Elle devait bénéficier d’une mémoire phénoménale, et avoir passé de nombreuses heures à parcourir ces longs couloirs bicolore pour en arriver à un tel résultat. Leid semblait sur le point de perdre connaissance. C’était quelque chose d’assez étonnant : il ne semblait pas tant blessé. La jeune femme finit par s’arrêter devant une porte avec une grande croix rouge peinte en son milieu. Elle pianota un code plus long encore que les autres, possédant peut être deux fois plus de chiffres. La porte eut quelques secondes de retard face à la demande, et un bruit de décompression se fit entendre. La lourde porte glissa lentement dans son rail et s’ouvrit. A l’intérieur de la pièce, Twee put apercevoir un grand lit entouré de nombreuses machines. Ces dernières possédaient de nombreux boutons, plus incompréhensibles les uns que les autres.
« Combien de personnes sont nécessaires pour maîtriser toutes ces choses ? »
La jeune fille posa le corps meurtri de Leid sur la table et s’accouda à une machine avant de dévisager Twee avec curiosité.
« Le professeur avait raison, tu es vraiment une petite fille bizarre. Il s’agit de la première parole que tu m’adresses, et elle concerne un motif neutre et pratique alors que Leid se meurt à moitié à côté de nous.
- Il survivra. Combien ?
- Tu ne perds pas le nord... Je suffis, petite, je suffis. »
Le professeur ? Le professeur Vilks ? Alors il était ici. Elle suffisait pour utiliser cette, non, ces machines énormes ? C’était assez impressionnant. Elle regarda Leid. Ce dernier n’avait pas l’air très en point. La femme qu’elle ne connaissait qu’à peine pianota sur un tableau de bord. Un écran noir placé parallèlement à la table émit un faible bip. Elle siffla, les yeux étonnés.
« Wow ! Il a au moins trois côtes de cassées, une fêlée, et son bras doit le faire souffrir horriblement. Si j’avais su, j’aurais lancé le check-up plus tôt ! C’en est presque dangereux ! Moi qui croyais qu’il n’avait que quelques scratchs... »
Twee regarda les écrans avec curiosité. Toutes ces nouveautés étaient diablement intéressantes. Elle rentra dans la pièce, mais la jeune femme lui jeta un regard courroucé :
« File, va donc voir ailleurs si j’y suis. J’ai besoin d’un peu de calme pour le requinquer, t’imagines pas le bordel que c’est à cette heure-ci. Je te conseille de te reposer tant que tu en as encore le temps. Tu n’en auras plus l’occasion avant un moment... »
Twee la fixa longuement avant de sortir et de fermer la porte. Elle comprenait la nécessité, mais n’approuvait pas : comment pouvait-elle laisser Leid aux mains de l’ennemi ? Enfin, de ses ennemis. Twee, elle, n’avait pas d’ennemis pour le moment. Ni d’amis. Ou plutôt, elle ne considérait personne comme un ami. Après tout, à qui pouvait-elle se fier ? Ils l’avaient tous trahi au moins une fois. Ils ne voulaient pas lui faire confiance ? Parfait, elle ne ferait confiance à personne.
La Jeune Fille commença à avancer doucement dans le couloir. Elle ne connaissait aucun code et ne pouvait pour ainsi dire aller nulle part. Elle posa les mains sur le mur. Ce dernier était légèrement chaud, comme si la machine était vivante. Ca n’était sûrement qu’une impression, mais c’était agréable. Twee se demanda comment allait se passer l’entretien. L’entretien... C’était comme s’il elle se présentait pour un boulot. Elle s’imaginait bien arriver dans une salle remplie de visages graves et ouvrir les bras avec un grand sourire : « Bonjour, je m’appelle Twee et je sais survivre ! Il paraît que vous recherchez des gens comme moi ? » A cette pensée, elle pouffa légèrement. Ils lui couraient après parce qu’elle savait survivre, qualité qui lui avait toujours semblé naturelle et pourvue à tout le monde. Elle ne savait pas encore très bien. Elle n’arrivait absolument pas à se trouver spéciale. Elle laissa glisser sa main contre le mur et laissa échapper un grand sourire. Elle n’avait l’impression que de vivre dans l’attente de ces entrevues. Comme s’il n’existait rien entre ces deux moments. La Communauté, et l’Organisation. Elles régissaient désormais sa vie, elle n’était plus qu’un chaton entre leurs griffes. Elle eut un sourire torve. Elle ne les laisserait pas continuer longtemps. Elle n’accepterait pas de se faire mener par le bout du nez ainsi. Pour l’instant, elle n’avait pas le choix, mais elle comptait bien récupérer la main. Et pour ça, quelques idées se profilaient dans son esprit...
La porte derrière elle s’ouvrit violemment. L’intervention avait été si rapide ! A moins qu’elle n’ait perdu la notion du temps ? La femme aux cheveux noirs coupés en un carré court semblait très fatiguée. Elle se frotta les yeux et chercha Twee des yeux. La trouva. Elle lui fit un petit signe de la main et retourna à l’intérieur de la pièce. Quelques instants, Twee se demanda quelle partie de la journée il était, incapable de se rendre compte du temps qui avait passé. Elle poussa la porte qui commençait déjà à se refermer, et passa la tête. Le corps. Leid était allongé sur le lit, couvert de nombreux bandages. Sur son bras gauche, une attelle tenait le membre en place. Il dormait, ou alors il n’était plus conscient. La femme désigna les commandes du doigt :
« Regarde. Observe bien. Ici, c’est la ligne de vie, en vert sur fond noir. Le rythme est légèrement trop lent, mais ça n’est pas grave. Là, les chiffres sur le côté, c’est le taux de globules blancs dans le sang, ainsi que celui de sucre. Pas de problèmes de ce côté là, c’est juste un automatisme. Ici, sur le côté, tu peux voir des suites de chiffres. Ca a un rapport avec l’ADN, mais ce serait trop long à expliquer... »
Twee ne l’écoutait qu’à peine. Leid semblait mort ou sur le point de mourir. Sa poitrine se soulevait lentement, très lentement. Son visage était neutre, presque ouvert. Il semblait paisible. Comme si son esprit ombrageux était enfin calmé. Twee en fut effrayée. Alors c’était à ça que ressemblait la mort ? Si elle n’avait pas eu cette ligne verte sur fond noir, ainsi que le regard soucieux de celle qui les avait aidé, elle aurait vraiment pu croire que toute vie l’avait quitté. Cette dernière se massa longuement la nuque avant de reprendre la parole :
« Au fait, je ne me suis pas présentée. On m’appelle Oliver. Twee, écoute moi. Là où tu vas, ils ne te veulent pas tous du bien. Certains seraient même prêts à te faire du mal... Voir à t’éliminer, par crainte que tu ne sois un espion. Oh, nous savons que tu n’es pas un bouclier. Un bouclier comme toi n’agirait pas ainsi, au contraire, il se battrait et nous donnerait sûrement bien du fil à retordre, sans compter que tu ne te jetterais pas ainsi dans la gueule du loup. Enfin, loup, si tu avais été Bouclier, bien entendu. Ah, si les Hauts m’entendaient, qu’est-ce qu’ils diraient... On aurait plutôt envie de fuir, non ? »
Twee la regarda sans mot dire. Oliver. Ce nom, à consonance masculine, lui allait comme un gant. Elle la prévenait... Pas bonté, ou parce qu’on lui avait demandé de le faire ? Les deux, sûrement. Elle ne semblait pas méchante. Mais combien étaient-ils à ne pas sembler méchants ? Leid n’avait rien d’un monstre, il lui avait même sauvé la vie, mais pouvait-elle lui faire confiance quand même ? Ce dernier était prêt à décider de sa vie à sa place pour choisir ce qui était bon et ce qui était mauvais pour elle, sans lui donner l’opportunité d’exprimer son opinion. Il avait pensé qu’il était temps qu’elle découvre la Communauté. Il avait décidé qu’il était plus sûr de se rendre à l’Organisation plutôt que de marcher et se cacher en ville, ou même simplement retourner au cirque. Il décidait, et il l’emportait. Elle n’était pas sûre d’apprécier ça, ni de lui faire encore confiance, même si elle comprenait les décisions qui guidaient ses choix. Elle ne voulait pas qu’on la dirige, elle voulait simplement...
... Être libre.
Oui, c’était ça. Ce mot, ce concept qu’elle n’avait pas croisé depuis de longues années... Elle avait, sur la route, touché du doigt cette liberté, même si elle était attachée à sa mère. Cette dernière l’avait éduqué, et jamais n’avait eu besoin de lever la voix : Twee décidait qu’il était mieux de suivre sa mère plutôt que de s’arrêter de marcher, quel qu’en soit le prix de cette marche. Mais lorsqu’elle était arrivée au cirque, tout était devenu plus simple : il suffisait de demander pour avoir. Oh, elle n’avait pas demandé grand chose, ce qui avait rendu cet attachement encore plus discret, mais bientôt elle s’était mise à dépendre du cirque. Elle était passée en un clin d’oeil d’être libre à chaton abandonné puis à chat domestique. Et c’était lors de ces derniers jours qu’elle l’avait ressenti le plus durement. Le plus profondément. Maintenant, tout ce qu’elle voulait, c’était retrouver cette liberté qu’elle avait perdu sans même s’en rendre compte. Oliver la tira de nouveau de ces pensées. Cette femme aimait visiblement grandement parler...
« Twee, écoute moi. Tu sais qu’ils veulent faire de toi une Arme n’est-ce pas ? Il paraît que bien que tu aies du mal à lire, tu sois loin d’être stupide, je ne vais donc pas te le cacher, tu sembles assez grande pour comprendre... »
C’est ça, traite moi de personne stupide parce que je ne sais pas lire ! La jeune fille lui renvoya un regard mordant, avant de décider de lui répondre d’un ton froid et acide :
« Merci, c’est grandement sympathique de votre part.
- Bon, tu savais, je suppose. Mais je voulais te le confirmer. T’es pas obligée de mordre hein ! Donc, ils veulent faire de toi une Arme, et tu devrais accepter, vraiment. Regarde moi ! Je n’étais rien avant qu’ils me récupèrent sur le bord de la route. Un peu comme toi. »
Cette gentil jeune femme commençait sérieusement à agacer Twee. Pour qui se prenait-elle ? Elle aussi, tout à coup, elle voulait diriger sa vie ? Elle aussi, elle voulait lui ordonner de faire ceci ou cela ? Et que savait-elle de sa vie ? Peut être était-elle épanouie, au cirque, ils n’en savaient rien ! Et pourtant, tout au fond d’elle, vraiment tout au fond, tellement loin que les yeux de son coeur ne pouvaient pas même en apercevoir une étincelle, elle savait qu’elle disait vrai. Et c’était de se retrouver face à cette vérité qui la blessait. Elle n’était rien, au cirque. Aidant tout le monde, n’Etant personne. Comme la cinquième roue d’un carrosse, essentielle lorsqu’on perdait une roue, inutile la majeur partie du temps. Mais on la gardait, au cas où on en ait besoin. Twee, qui restait la plupart du temps très calme, lui jeta un regard furibond. Elle commençait même à la détester, comme elle n’avait jamais détesté personne. Elle la détestait pour sa perspicacité, et sa capacité infaillible à la mettre devant ses défauts et de les pointer du doigt en hurlant.
« Tu es trop froide pour une gamine de ton âge, vraiment, tu devrais parler un peu plus et jouer de temps en temps. Vraiment, c’est super cool de jouer ! Je pourrais t’apprendre des tas de jeux, je suis sûre qu’on s’entendrait bien. »
Non, pas vraiment, elle ne pensait pas. Parce qu’elle était jeune, elle devait se comporter comme une gamine ? Twee préféra soupirer et ignorer cette bruyante compagnie. Elle commença à faire le tour de la salle, essayant de deviner quel objet servait à quoi. C’était particulièrement difficile de par le fait qu’elle ne savait absolument pas ce qu’il était possible ou nécessaire de faire dans une salle de soin. A part des bandages et des attelles, elle n’avait jamais eu besoin de rien... Ni n’avait vu quelqu’un avoir besoin d’autre chose. Les petites maladies étaient soignées à l’aide de tisanes et d’herbes ramassées ça et là, ou alors guérissaient miraculeusement au bout de quelque temps. Fruit, se rendit-elle compte, soit de la nature, soit des nombreux comprimés qu’elle apercevait à droite à gauche. Quand aux blessures plus graves... En tant qu’enfant, on ne lui avait jamais permis d’assister à une quelconque opération importante, et elle se doutait maintenant que ce n’était qu’un prétexte pour cacher l’existence d’une possibilité de soigner aussi miraculeuse. Et puis, les accidents arrivaient, mais ils étaient rares parmi ces professionnels qui étaient, pour la plupart, des êtres absolument en dehors des normes humaines... Twee allait appuyer sur un bouton quand la voix retentit de nouveau, toujours aussi agaçante :
« Hep ! Qu’est-ce que j’ai dit ? On peut visiter, mais on touche pas aux trucs qui clignotent. ce bouton clignote. D’ailleurs, je t’interdis de toucher au moindre de ces boutons : ne jamais utiliser un mécanisme inconnu sans l’avoir analysé avant ou en avoir demandé la fonctionnalité ! »
C’était le ton, presque maternel, qui l’exaspérait. Elle s’attendait visiblement à ce qu’elle demande à quoi servait ce bouton, mais Twee ne voulait pas lui donner ce plaisir : elle bougea simplement sa main sur le côté pour continuer son inspection. Tout au fond, prenant presque la moitié de la salle et séparée de la place principale par une plaque de verre, une énorme turbine avec un trou au milieu était présente. Si Twee aurait du la comparer à quelque chose, elle aurait sûrement répondu « Un gros réacteur qui n’a rien à faire là. », après tout, elle n’avait jamais vu d’IRM, n’en connaissait même pas l’existence. Elle se colla à la vitre, qui s’embua légèrement lorsqu’elle souffla dessus. L’énorme cylindre bénéficiait d’un lit. Elle se demandait à quoi ça servait, mais elle n’avait pas envie de le demander. Elle ne voulait rien demander à cette femme qui n’avait pas grande opinion d’elle et qui la traitait comme si elle la connaissait parfaitement. Comme si elle en savait plus sur Twee que Twee elle même. Et cette dernière détestait ça. Elle allait se décaler de la vitre quand la voix retentit de nouveau, comme si elle avait lu dans ses pensées :
« C’est un objet qui permet de... Comment dire... Voir l’intérieur du corps grâce à la résonance magnétique. C’est un peu compliqué, mais ça marche du tonnerre ! »
Twee l’ignora et continua son petit tour. C’était intéressant, c’était nouveau, c’était incompréhensible. Ici, des tiroirs qu’elle s’amusa à ouvrir, et qui délivrèrent des centaines de pilules de couleur, toutes différentes et classées par taille et composants. Chacune d’entre elle était annotée par un nom si compliqué qu’elle n’arrivait même pas à les lire. Elle ne comprenait pas comment c’était possible de mettre autant de consonne à la suite, avec des h partout, et d’arriver à un résultat intelligible. Elle haussa les épaules et referma le tiroir qu’elle avait tiré. Elle n’avait aucune envie d’essayer ces choses qui pouvaient, elle en était sûre, tout aussi bien la tuer que la sauver. Elle se retourna. Elle n’avait pas fait le tour de la pièce, mais elle voulait en finir. Tout de suite, elle voulait voir ce comité qui l’attendait sûrement. Comme à la Cité, elle ne voulait pas perdre son temps à regarder autour d’elle et bailler aux corneilles alors qu’il y avait quelque chose de si important à régler. Oliver la fixait, avec un air tranquille et légèrement désintéressé.
« Tu en as déjà marre ? La première fois que je suis arrivée ici, j’ai passé des heures à examiner chaque machine de fond en comble, sans même m’arrêter pour boire ou manger tant j’étais absorbée. Et toi, à côté, tu jettes un coup d’oeil et tu reviens pour qu’on te jette devant des tas de gens que tu vas devoir persuader de te considérer comme un être humain... Désires tu tant que ça un peu d’action dans ta vie ? N’es tu pas heureuse avec ce que tu possèdes déjà, tu dois te lancer dans quelque chose de dangereux pour avoir l’impression d’exister ? »
Twee pencha doucement la tête sur le côté, pensive. Peut être que c’était ça. Peut être qu’elle avait attendu trop longtemps, qu’elle avait passé trop de temps à regarder autour d’elle la façon dont tournait le monde, et peut être que maintenant, elle voulait que ce dernier prenne en compte son existence. Peut être qu’elle avait envie de changer les choses, de bouger, de se mesurer aux autres. Elle avait envie de devenir différente. Elle en avait marre de son rôle passif. Et si pour provoquer en elle une montée d’adrénaline elle devait se jeter dans la gueule du loup, alors elle le ferait. Elle avait oublié la sensation de peur et d’excitation qui vous prend lorsque le vent bat votre figure, quand vous voyez se profiler devant vous un avenir incertain, possiblement court. Elle avait redécouvert ça lorsqu’elle avait enfin pris la décision de franchir les frontières du cirque, et elle ne voulait pas y retourner. Elle ne voulait pas que ça s’arrête. Mais elle ne voulait pas prendre parti pour l’un ou l’autre des camps. Si seulement ces derniers acceptaient de vivre ensemble ! Ne se rendaient-ils pas compte de la futilité de leur quête ? Ils se battaient sur les fronts de technologie, d’administration, d’espionnage, d’argent, sur tous les fronts. Ils ne faisaient que perdre dans cette guerre. Et puis, elle n’avait aucune envie de se battre contre des personnes qu’elle avait apprécié, ou qu’elle appréciait encore. Que ferait-elle le jour où elle se retrouverait face au professeur Vilks ? Souhaiterait-elle l’éliminer ? C’était totalement impossible. Ce dernier ne lui avait jamais rien fait, au contraire. Quand à se battre contre la Cité, cette cité si magnifique... Elle n’y songea même pas. Lied avait semblé tellement déterminé à se battre contre Tad, mais tellement triste aussi... C’était un choix impossible.
« Bon petite, tu veux y aller ou pas ? »
Avant même que Twee ne réponde, quelqu’un frappa à la porte. Elle sursauta doucement, se tournant vivement vers l’origine du bruit. Oliver ordonna d’une injonction au visiteur d’entrer. C’était le Général Hyäne. Il jeta un coup d’oeil à Oliver, examina Twee, inspecta en quelques secondes l’état du jeune homme couché sur la table d’opération et se tourna de nouveau vers sa compatriote :
« Nous avons gagné assez de temps, Oliver. Ils ne nous attendrons plus longtemps, maintenant. »
Twee fourra ses mains dans ses poches et s’approcha de quelques pas.
« Bonjour jeune demoiselle... Préparez vos arguments, j’espère que vous savez ce que vous allez faire... Mais je suis sûre qu’une grande dame comme vous a déjà pris sa décision depuis longtemps. »
Il se moquait gentiment d’elle. C’était assez étonnant de la part d’une personne à l’allure aussi stricte et au visage aussi fermé. Oliver sembla surprise, mais ne releva pas, se contentant de pouffer, avant de désigner Lied du doigt :
« Ce dernier est incapable de nous accompagner. Il lui faudra se reposer pendant encore quelques jours au moins.
- D’accord. Allons-y. »
Ils passèrent tous les trois la porte, Le Général devant elle et Oliver derrière elle, comme s’ils ne craignaient qu’elle s’enfuie. A vrai dire, elle n’avait nulle part où aller, et elle ne se voyait pas abandonner Lied ici. Pas aux griffes de ceux qui souhaitaient sûrement le voir mort ou hors d’état de nuire. Un accident est si vite arrivé. Ils reprirent le chemin inverse à celui qu’ils avaient fait à leur arrivée... Du moins le supposait-elle : dès la première bifurcation elle fut totalement perdue. C’était comme s’il y avait des murs dans des murs ou des couloirs qui se superposaient, un véritable labyrinthe. Plusieurs fois, elle eut l’impression de reconnaître les alentours, avant de se rendre compte qu’elle était perdue de nouveau. Elle aurait été incapable de s’y retrouver toute seule. Elle se demandait combien de temps ça allait durer, lorsqu’une porte plus massive lui fit cligner des yeux. Le Général s’arrêta devant. C’était la porte d’entrée. Elle se demanda vaguement ce qu’elle allait trouver de l’autre côté. Elle s’imaginait parfaitement un bunker sombre, fait du même matériel grisâtre que les murs des bâtiments encore debout dans la ville. Quelque chose de dur, d’austère et impressionnant. Quelque chose fait pour effrayer, possédant une beauté toute militaire que le commun des mortels avait des difficultés à appréhender. Twee n’eut pas plus le temps de pousser avant ses réflexion que la porte glissa sur le côté dans un sifflement feutré.
Elle ne s’attendait pas du tout à ça. La machine était posée sur une sorte de socle, et lorsque la vue se dégagea, Twee fut devant un panorama plus que magnifique. C’était aussi grandiose que la Cité, mais à sa propre manière. Les bâtiments qu’elle pensait carrés et gris étaient en fait hauts, ronds et blancs. C’était une sorte d’antipode de la Cité.
« Au contraire de la Cité que tu as sûrement pu apercevoir plus tôt, le Bourg a été entièrement pensé et construit dans une optique d’ergonomie et de renouvellement. La Cité est un retour aux sources, le Bourg un envol vers le futur... »
Elle ne savait pas qui des deux avait dit ça. Elle était subjuguée. Elle avait adoré la Cité. Elle était impressionnée par le Bourg. Car ce dernier possédait une beauté faite de clarté et de simplicité. Pas de grands bâtiments compliqués ornés de centaines de gravures et de figures fantastiques, non, des murs lisses et qu’elle devinait doux au toucher, des flèches élancées, un côté design et nouveauté. Une ville du futur. Elle hésita quelques secondes et se lança en avant, atterrissant souplement sur le sol. Ce dernier, dur, était aussi noir que les maisons étaient blanches. Enfin, les appartements, car elle doutait qu’il n’y ait ici une maison plus grande que quelques pièces, ou un ou deux étages ce qu’elles perdaient en largeur pour les plus étriquées. C’était différent. Sur cette route, des voitures roulaient. Mais alors que la voiture de la cité qu’elle avait croisé était sympathique, crachouillante et presque erratique dans son avancée, ici chaque transporteur était minuscule et avançait rapidement, filant vers son but. Comme s’il n’avait pas le temps, comme si il fallait absolument arriver à bon port le plus rapidement possible pour ne pas qu’une catastrophe arrive. Malgré ce côté pratique, Twee trouva dommage que les habitants ne prennent pas le temps de regarder autour d’eux pour s’émerveiller sur ce qui les entourait. Etaient-ils comme elle, à la recherche d’une aventure ? Elle en doutait. Ils ne semblaient même pas heureux de la direction qu’ils prenaient.
« Tout cette évolution demande de grands moyens. Tout le monde met la main à la pâte ! »
C’était donc ça... Elle se demanda si le système d’argent avait aussi cours ici. Ca devait être compliqué à gérer. Elle allait avancer d’encore quelques pas quand une voix la héla :
« Hep, par là mistinguette. On allait quand même pas s’arrêter loin du lieu de réunion avec ce bijou ! »
C’était Oliver. Elle se retourna et jeta un coup d’oeil au vaisseau : ce dernier semblait beaucoup plus petit que ce que l’intérieur laissait penser, même s’il devait posséder au moins deux étages, voir une cale, sans oublier l’espace pour placer toute la mécanique qui lui permettait de voler. Mais elle se désintéressa bien vite quand elle s’aperçut qu’ils partaient sans même l’attendre. Ils n’avaient en fait aucune crainte quand au fait qu’elle s’enfuie. D’un autre côté, c’était techniquement eux qui avaient cherché à venir ici, vouloir en partir serait illogique. Elle se hâta et rattrapa ses guides lorsqu’ils franchirent la porte du bâtiment le plus proche. Ce dernier n’était pas aussi grand que les autres, mais plus long, parfaitement discernable. Ici pas de porte en bois avec une serrure gravée dessus, mais des panneaux qui coulissaient lorsqu’on présentait une sorte de badge magnétique. C’était comme s’ils utilisaient de la magie. Les plantes, omniprésentes partout ailleurs, n’étaient ici qu’en nombre limité. Elles bordaient la route, agrémentaient d’une touche colorée certains bâtiments, mais c’était tout. Twee n’en savait rien, mais c’était ce qu’il y avait de plus habituel, avant le retournement. les plantes, dans les villes, n’étaient présentes que grâce au bon vouloir des autorités et pour le confort visuel. Alors que partout où elle avait été jusque là, l’homme n’avait été qu’un pion obligé de se plier à son environnement. Le Cirque cultivait et aménageait la nature qui l’entourait, la Cité profitait de cette verdure pour s’embellir et relever ses tons bronze et cuivrés, mais le Bourg avait totalement soumis la nature sous sa coupe, ne l’autorisant qu’à quelques apparitions ci et là. Mais, là encore, ses réflexions furent interrompues par le départ de ses deux guides qui ne l’attendaient pas. Ils étaient pressés, maintenant.
Elle frissonna. Depuis le début, c’était la première fois qu’elle se retrouvait seule avec des inconnus. Lors de son départ, elle avait été seule, mais elle n’avait pas passé longtemps à vadrouiller en ville avant de croiser Tad, qui l’avait rapidement amené à la cité, où Leid l’avait rejoint. Où Lied, depuis, la secondait. Son absence la dérangeait. Elle était maintenant totalement incapable de se défendre face à ses adversaires si ces derniers décidaient de tricher ou d’utiliser tous leurs atouts. L’intérieur du bâtiment était au diapason de son apparence extérieur : c’était assez grand et ouvert, il n’y avait presque pas de murs, tout était en open space. Un bureau était installé contre un mur, rempli de feuilles, mais personne n’attendait derrière. Ca avait un certain caractère professionnel qui lui déplaisait un peu. Elle n’eut pas plus le temps d’explorer cette pièce qu’elle n’avait eu le temps d’explorer la maison dans la cité, comme s’ils protégeaient ce qu’ils avaient : elle suivit avec empressement Oliver et le Général vers de grandes volées d’escalier. Ils gravirent un, deux, trois étages. Les couloirs se ressemblaient tous, pourtant ce fut sans hésitation qu’ils se dirigèrent vers une porte toute simple, et l’ouvrirent. De nouveau, tous les visages se tournèrent vers elle lorsqu’elle franchit la porte. Elle était l’activité du moment, ce qui les préoccupait tous. Elle était ce petit grain de sable qui venait titiller la mécanique. Elle aperçut tout de suite le vieil homme, l’Astrologue, qui lui fit un petit signe de main. Elle remarqua aussi Monsieur Loyal qui lui rendit un sourire triste. Il était aussi présent à la Cité, se rappela-t-elle. Elle devina qu’il était l’homme neutre. Celui qui n’avait pas le droit de prendre parti. Elle n’enviait absolument pas sa position : il ne devait pas avoir beaucoup d’amis entre toutes ces traitrises et les décisions qu’il devait être forcé de prendre. Elle aperçût aussi plusieurs tête connues. Autant de têtes importantes qu’à la cité, très exactement. Un équilibre presque parfait des forces en fonction. Dans un coin, Dummy, les yeux fermés, ronflotait doucement, provoquant un bruit de fond presque agréable. Tous les visages inconnus qui la dévisageant renvoyaient une mine curieuse. Certains se teintaient en plus d’une animosité mal dissimulée ou même affichée ouvertement, alors que d’autres semblaient prêts à la prendre en pitié, cette petite gamine aux cheveux blonds cendrés et aux grands yeux bleus qui les regardait d’en dessous de son manteau rouge...
« Bienvenue parmi nous. Prends donc un siège, mets toi à l’aise... Je suis le Docteur Zack. Twee, je te présente l’Organisation : tu as devant toi, que tu connais déjà, le Professeur Vilks, ainsi que... »
Il commença en un long monologue à déclamer les noms et fonctions globales de toutes les personnes présentes. L’introduction était tout à fait différente de celle dont elle avait été sujet dans la Cité, cependant elle avait une curieuse impression de déjà-vu. Elle s’avança d’un pas mais resta debout devant la table. Elle ne faisait pas partie d’eux. Ils étaient tous ensemble, et elle était seule contre eux. Ils avaient le droit de s’asseoir, mais elle, elle devait rester debout. Elle doutait qu’ils ne l’attaquent ou ne fassent d’autres choses du genre, mais personne n’est jamais sûr de ce qu’il peut arriver. Elle écouta avec attention, mais ne retint pas même la moitié des noms. Ils ne signifiaient rien. Après tout, elle n’aurait peut être jamais besoin de les utiliser. Le Général se tenait debout derrière le chef de l’assemblée, raide, alors qu’Oliver était allé se poser sur une chaise, jouant à se balancer sur les pattes arrière de celle-ci. Twee porta toute son attention sur celui qui lui parlait. C’était un homme que, de nouveau, elle ne connaissait pas. Il semblait plus âgé que la moyenne, et ses yeux de glaces dénotaient un esprit vif et agile. Sa voix était posée et grave, il semblait ne pouvoir jamais rire. Il était tout habillé de noir, une tenue très classe composée d’un ensemble et d’une cravate bleue foncée. Ici, tout le monde semblait penser que le bleu, le rouge et le vert étaient les seules couleurs acceptables en tant que cravates, si on mettait de côté les résidents du Cirque. Ces derniers, en effet, étaient pour la plupart habillés comme ils l’étaient tous les jours : décontractés, étonnants, originaux. Comme si cette réunion n’avait rien d’important pour eux. Twee revisita son jugement : après tout, peut être étaient-ils habillés comme d’habitude, cependant ça ne signifiait pas pour autant qu’ils ne lui prêtaient pas attention. Ca n’était pas lié, il n’y avait aucune raison qu’il y ait un lien de cause à conséquence.
L’homme s’arrêta de parler et lui fit un petit sourire, comme s’il cherchait à la mettre à l’aise. Ce fut tout à fait étonnant : son visage jusque là froid sembla se réchauffer, son visage se plissa doucement et sembla rayonner. Qu’un simple sourire puisse ainsi changer autant un visage était quelque chose de merveilleux. Mais Twee ne s’y laissa pas prendre et choisit de garder une expression neutre. Montrer qu’elle n’avait pas peur et qu’elle était sûre de ce qu’elle faisait.
« Bonjour, et merci. Je vous remercie de votre attention et des efforts que vous faites. »
Elle hésita. Devait-elle poser des questions ? Se montrer intéressée ? Plutôt que de faire ou dire une bêtise, elle préféra se taire. Comme souvent. Le vieil homme reprit la parole :
« Twee, nous savons que tu traverses une période difficile. Autour de toi, de nombreuses personnes te hâtent de choisir une voie et de t’engager dans quelque chose que tu ne maîtrises pas. Mais nous pouvons t’aider. Nous pouvons t’offrir l’opportunité de bénéficier de l’aide de toute notre Organisation.
- Que devrais-je faire en échange de cette aide ?
- Oh, pas grand chose : nous ne demandons que ton soutien. Tu garderais bien entendu une part de liberté, ta voix conterait plus que celle des autres, telle que compte plus celle d’Oliver, de Thanahante ou Elios. »
Thanathante et Elios. Quels noms étonnants. Elle présuma qu’ils s’agissait d’Armes. Elle ne les avait jamais vu au cirque. Peut être y avait-il différent types d’Armes ? Et peut être, du coup, y avait-il aussi plusieurs types de Boucliers ? C’était une question qui méritait qu’on se penche dessus, mais elle n’en eut pas le temps, la conversation continuait et elle se devait de l’analyser parfaitement :
« Que me ferez vous si je refuse ?
- Nous t’offrirons la possibilité de rester ici, au Bourg.
- Et si je refuse cette alternative ?
- Il n’y a pas d’autres alternatives, gamine ! »
Elle se retourna. C’était une femme qui avait parlé, cette fois, une qu’elle ne connaissait pas.
« Suis-je la seule ici à ne pas vouloir discuter avec une enfant de, quoi, quatorze ans, pour arriver à une solution ? Cette... Jeune fille n’arrive même pas à comprendre le cadeau qu’on lui fait ainsi que l’opportunité que c’est que de devenir une Arme ou même habiter au Bourg ! Certains tueraient pour avoir cette chance !
- Doucement, Noëlle. Je sais que tu n’es pas la seule. Mais cette jeune fille a montré par le passé qu’elle ne souhaitait pas forcément ce que tu appelles une opportunité. »
Déjà vu, encore. Toujours, un réfractaire. Toujours, une personne ne bénéficiant pas d’assez de patience pour que le meneur puisse parler en paix. On avait l’impression de se retrouver au milieu d’une bande de loups, mais des loups si mal élevés qu’ils ne se respectaient pas même entre eux. Mais Noëlle, contrairement à ce qu’elle pensait, ne chercha pas à pousser plus loin la discussion et se rassit. Comme si quelques paroles avaient suffi. Elle n’était pas calme pour autant, mais elle ne se rebiffait pas.
« Twee, si tu ne veux pas rester, nous te laisserons partir. Seulement, je pense bon de te rappeler que certaines personnes souhaiteraient te voir morte dans cette ville, et que c’est toi même, avec ton compagnon, qui êtes venus ici pour requérir notre aide. »
Elle ne répondit rien. Ces paroles, pleines de bon sens, la touchaient bien plus que les arguments sucrés du dirigeant de la Cité.
« En quoi consiste le fait de devenir une arme ? »
Le dirigeant lui adressa un second sourire.
« C’est bien naturel de ta part de t’enquérir de ceci. Une Arme est en fait un être tout à fait humain dont nous modifions le corps. Un groupe de scientifiques étudient ton corps et décident quelles modifications sont envisageables en fonction de plusieurs critères, physiques et mentaux.
- Combien de temps est nécessaire ?
- Dans ton cas, aucun. »
Bien. Innocents, mais pas trop. Elle se doutait qu’ils avaient récupéré des informations. Depuis longtemps.
« Bon, nous ne pouvions pas t’approcher énormément et nous devons nous baser principalement sur ce que le professeur Vilks nous rapportait, et c’est donc très incomplet. Cependant, si tu nous laisse quelques heures, nous aurions tôt fait de régler cela. »
L’expérience la tentait. Vraiment. Elle songeait à tout ce qu’il était possible de faire si seulement elle devenait une Arme.
« Que ferez vous si je me révolte en tant qu’Arme ?
- La rébellion est passive de mort, Twee, quel que soit le pays où tu te trouves. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. »
Elle n’était pas sûre de comprendre parfaitement cette dernière phrase. Seulement, elle était sûre d’une chose : elle ne pourrait jamais être aussi libre qu’elle le souhaitait sans avant devenir plus forte. Et les conditions ici étaient largement plus à son avantage que pour l’Opération.
« Y a-t-il des risques ? »
Il y eut quelques secondes de flottement avant que le Docteur Zack ne réponde :
« Oui. Nombreux. Plus nombreux encore que pour l’Opération où parfois certains survivent sans que leur corps ne soit modifié. Ici, c’est quitte ou double : ça vit ou ça meurt. Et les statistiques ne sont pas particulièrement encourageantes. »
Twee regarda les visages autour d’elle. Ils attendaient sa réaction.
Elle allait accepter.
Alors comme ça, ils préféraient la tuer plutôt que de risquer qu’elle accepte d’aider l’autre parti ? C’était une lutte qu’elle trouvait inutile, entre deux partis qui avaient tout un monde à reconstruire mais qui préféraient lutter l’un contre l’autre. La haine qui avait engendré cette situation devait avoir été immense. Au point qu’ils ne rechignaient pas même devant l’idée de tuer des gens, aussi innocents soient ils. Parce que si elle avait fait quelque chose de mal, ou qui méritait qu’elle quitte cette terre, elle n’en avait jamais eu conscience. Oh, elle avait bien du ennuyer de nombreuses personnes de par sa présence, mais de là à vouloir la tuer... Au mot Arme, plusieurs expressions avaient été visibles, plus ou moins intéressantes. Tad avait doucement laissé glisser ses doigts le long du fil de la lame de son arme, une épée droite qui faisait presque la moitié sinon les trois quarts de sa taille. Les membres du cirque qu’elle connaissait ou reconnaissait tout du moins restaient de marbre ou se mordaient les lèvres. Leur réaction était neutre ou inquiètes. Certaines des personnes présentes semblaient par contre plus ennuyées par le sujet de la conversation qu’autre chose. Un homme habillé d’un habit noir lui allant parfaitement se leva de sa chaise, le regard courroucé.
« Will ! Nous avions convenu de ne pas ramener ce sujet sur le tapis. Nous ne sommes même pas sûrs que les Armes existent, tu n’as aucune preuve !
- Les Armes existent ! Je le sais, pour en avoir combattu une. »
C’est Tad qui s’était avancé, les yeux plissés, les lèvres légèrement relevées et laissant deviner une dentition plus pointue qu’elle n’aurait dû l’être. Elle ressemblait à une panthère en colère, prête à bondir sur sa proie. Cette vision n’effraya pas le dandy qui lui jeta un regard méprisant.
« Personne n’a autorisé la sentinelle à parler. D’ailleurs, il me semble qu’elle avait perdu ce combat, n’est-ce pas ? Si ce qu’elle raconte est vrai. Mais je pense plutôt qu’elle a fui devant la technologie adverse... »
Son ton était hautain, mauvais. Tad n’était qu’un animal sauvage à ses yeux, une chose trop dure à dompter et dont on aurait du se débarrasser pour ne pas craindre qu’elle vous poignarde dans le dos. Cette dernière le savait parfaitement, et prenait encore plus de gout à répondre à cet homme qu’elle détestait elle aussi, mais elle ne pouvait pas se venger comme elle l’aurait toujours voulu. Tout d’abord parce que ce n’était pas dans son code moral. Et ensuite parce qu’aussi odieux qu’il était, la Communauté avait besoin de lui. Stratège de génie, il n’y avait pas meilleur que lui pour deviner les prochains mouvements de l’ennemi et de le contrer. Dommage qu’il n’avait pas cette ouverture d’esprit qu’on lui demandait, et qu’il n’agissait non pas par sympathie ou par idéal, mais par vengeance. Tad allait répliquer, sa phrase déjà parfaitement claire dans son esprit, mais Will l’interrompit et l’empêcha d’agir :
« Tad, Thédric, il suffit. Cette question n’a pas à être abordée durant cette séance. Nous partons du doute qu’ils puissent exister. Et nous ne pouvons pas permettre à cette jeune demoiselle d’en devenir une, pas avec le potentielle qu’elle possède.
- Quel est ce potentiel que je possède ?
- Mais le potentiel de survivre, bien sûr. Lorsqu’on se lance dans une Opération, nous n’en demandons pas plus. »
Le potentiel de survivre. Alors ils l’observaient bien depuis toutes ces années, comme des scientifiques observaient une souris, la stimulaient et observaient ses réactions. Elle n’aurait pas pu dire de qui était l’idée originale, mais elle le voyait parfaitement tous agréer d’un seul mouvement.
« Alors ? Prendras tu part à l’Opération ? »
Twee lui jeta un regard bizarre. Il lui demandait ça comme ça, de but en blanc, alors qu’elle ne savait même pas de quoi il s’agissait. Lui demandait de choisir, en quelques secondes, entre mourir ou prendre le risque de mourir et devenir autre chose. Elle releva la tête et le fixa avec des yeux froids.
« Je refuse. »
C’était son premier acte de rébellion qui pourrait lui couter les vie, mais elle en avait conscience et elle acceptait les risques. Elle n’avait pas peur de mourir, elle vivait en dansant à côté de la mort depuis sa naissance. C’était une des choses que sa mère lui avait inculqué : il ne fallait pas avoir peur de la mort. On peut ne pas l’aimer, la rejeter, chercher à l’éviter, mais il ne fallait pas en avoir peur car elle n’était pas mauvaise. Oh, bien sûr, Twee l’évitait autant qu’elle le pouvait, bien évidemment, mais elle ne voulait pas que l’on choisisse ce qu’elle allait faire et ce qu’elle allait vivre sous prétexte qu’elle pourrait mourir si elle n’obéissait pas. Elle n’avait qu’une quinzaine d’années, mais si c’était pour vivre quelque chose qu’elle n’avait pas choisi, elle préférait encore mourir. Leid ouvrit de grands yeux et se plaça devant elle en ouvrant grand les bras :
« NON ! »
Elle recula d’un pas, étonnée. Leid avait l’air presque désespéré. Etait-ce, de nouveau, un acte pour la faire craquer, ou voulait-il réellement qu’elle survive ? Elle était partagée et ne savait plus qui croire. C’était comme le numéro du bon et du mauvais flic : et si tout ceci n’était qu’une pièce de théâtre pour qu’elle accepte ? C’était tellement possible. Tellement simple. Twee eut la surprise de voir Tad reculer d’un pas. Son épée brandie. Heurtant le bras du magicien. Elle s’était déplacée si vite qu’elle n’avait pas même remarqué le moindre mouvement, comme lorsqu’ils étaient sur les toits des immeubles, et maintenant elle était là, effrayée par le geste qu’elle avait fait. Leid abaissa son bras. Il était intact. Non, ce n’était pas vrai : le long manteau noir bleuté qu’il portait commença à se teinter de rouge sombre, mais le membre n’avait pas été tranché comme on aurait pu s’y attendre. Leid laissa doucement remonter sa lèvre supérieure. Ses yeux crachaient sa haine. Il tenait son bras de sa main intacte et dévisageait tout le monde avec un air un peu ravagé.
« Merde ! Attrapez le ! »
Twee ne vit pas qui avait jeté cet ordre, pas plus qu’elle ne reconnut la voix, mais elle vit tout de suite Tad se jeter en avant, son expression bien plus stable qu’avant. Son arme décrit un arc de cercle bien visible, avant de dévier au dernier instant pour attaquer de côté. Un coup fourbe, parfaitement exécuté, avec un timing impressionnant. Leid se jeta au sol à l’ultime seconde, roula en arrière en bousculant Twee et se redressa à demi. Il ressemblait à un loup solitaire acculé au fond d’un trou et cherchant à échapper à son destin. Il attrapa Twee sous son bras et se jeta sur la porte, la fracassant au passage. Ses mouvements étaient désordonnés et ils roulèrent sur le sol, mais avant que cette dernière ne puisse rien faire, Leid était déjà à moitié relevait et l’avait attrapé de nouveau, se jetant vers l’entrée. Derrière lui, il bousculait les meubles dans un grand bruit de porcelaine brisé, alors que le bois criait à l’injustice en bloquant le passage. Tad, remise de sa surprise, les poursuivait avec sa vélocité habituelle. Elle passait dans le couloir comme si les objets n’existaient pas, passant par dessus ou les esquivant avec grâce. Elle les rattrapait, Leid incapable de soutenir le rythme avec la Jeune Fille sous on bras et en essayant de lui barrer la route. De nouveau, elle jeta son épée en avant, tâchant d’atteindre l’homme qui s’enfuyait, mais de nouveau elle le rata alors qu’il se jetait d’un bond en avant, sous l’effet de l’adrénaline ou d’un sixième sens particulièrement efficace. Leid atteint en quelques secondes la porte qu’il franchit avec la même violence que la première, se rétablit in extremis et bifurqua violemment vers la droite, de là où ils étaient arrivés. Twee ne supportait pas de se faire trimballer ainsi contre son grès, mais au vu de la situation elle se contenta de s’agripper et de se taire. Elle ferma même les yeux quelques secondes, avant que sa curiosité ne prenne le dessus. Leid courait bizarrement, formant une sorte de ligne brisée imprévisible, passant à droite, à gauche, à gauche encore, pour revenir sur la droite, comme si le sol était pavé de mines. Elle ne comprenait pas pourquoi il agissait comme ça, ni quelle était la raison qui empêchait Tad, qu’elle avait déjà vu parcourir des distances bien plus longues en moins de temps encore, de les rattraper. Elle jeta un coup d’oeil en arrière et vit cette dernière les observer de l’entrée. Elle se préparait visiblement à les intercepter d’un bond précis, mais n’arrivait pas à se décider de la trajectoire à adopter. Oh, c’était donc pour ça que Leid perdait de la vitesse et n’allait pas tout droit. Il devait rester imprévisible. Tad leva son épée, et disparut. Twee fut projetée sur le sol avec violence, alors que Leid s’était retourné d’un bond pour parer un coup qui arriva très exactement au niveau de sa carotide. La Jeune Fille ne comprenait pas comment on pouvait passer aussi vite d’une conversation très simple à un affrontement à mort entre deux personnes. Tad était rapide et bougeait bien plus rapidement que Leid, mais ce dernier, armé de deux poignards très courts en comparaison de l’arme adverse réagissait instinctivement et réussissait à parer les attaques. A chaque instant, Twee s’attendait à le voir tomber, à s’écrouler, l’arme lui passant au travers du corps ou coupé en deux. Cependant, il tenait bon et réussissait même parfois à prendre l’avantage pour quelques rares secondes. Les coups s’enchainaient à un rythme frénétique. Les deux combattants exécutaient une danse sans fin, chacun tentant d’appliquer des blessures non seulement avec leurs armes, mais aussi avec tout leur corps.
Tad avait l’avantage d’une bien plus grande allonge, et se permettait ainsi d’attaquer tout en restant à une distance assez importante, mais Leid semblait deviner toutes ses attaques et les parait comme si il les voyait venir. Il bougeait à peine, mais tout ses mouvements étaient mesurés et utiles, lui apportaient un avantage ou supprimaient un inconvénient. Cependant, il ne pouvait tenir le rythme éternellement : une estafilade légère apparut sur sa joue, une seconde sur son bras blessé qui maintenant bien moins le rythme que son jumeau.
« Abandonne, Leid. Tu es blessé, tu ne pourras pas tenir le rythme : arrêtons nous là ! Tu sais que nous n’avons pas le droit de nous battre. Si l’un de nous meure, tout le monde en souffrira !
- Tu ne comprends pas, Tad. Tu ne peux pas comprendre. Et depuis que nous nous connaissons, je n’ai pas souvenir que tu m’aies battu une seule fois...
- Oui, mais les conditions étaient bien différentes... Ton bras gauche t’est presque inutile, et tu n’as pas ton arme favorite avec toi.
- Même dans ces conditions, je peux toujours gagner, tu le sais. Pars, laisse moi m’enfuir avec la petite.
- La petite ? Elle est plus femme que beaucoup ici. Regarde là ! Défier comme ça la Communauté, refuser un présent pour choisir la mort... Cela t’étonne-t-il qu’ils veuillent la supprimer ?
- Non. Elle a plus de potentiel que nous encore...
- Alors tu comprends mon entêtement. »
Ils discutaient, comme s’ils étaient autour d’un café, mais ils bougeaient plus vite que l’éclair, échangeaient des coups, comme deux chats jouant dangereusement. Leid récoltait de plus en plus de blessures, mais elles étaient toutes aussi insignifiantes les unes que les autres. Son sang commençait à parsemer le sol d’un tableau carmin. Les deux combattants haletaient. Tad était intacte, mais sa mine soucieuse en disait long sur les problèmes auxquels elle faisait face et qu’elle n’avait pas prévu. Elle recula d’un pas pour essayer de reprendre son souffle, mais Leid, d’un mouvement vif, prit l’avantage et se jeta sur elle, réduisant en un clin d’oeil la distance les séparant et la jetant à terre, rendant son arme inutile. Il l’immobilisa en un clin d’oeil, lui planta son poignard dans l’épaule, et se releva d’un bond pour attraper Twee et se remettre à courir. Il ne lui laissait pas le temps de s’en remettre : chaque micro secondes pouvait leur coûter la vie. Twee aperçut un mouvement du coin de l’oeil.
« SIAM ! VA T’EN ! »
D’un mouvement du bras, Lied écarta Siam qui n’eut pas même l’opportunité de faire un mouvement. C’est à ce moment que Leid couvrit les yeux de Twee et qu’elle ne put plus rien comprendre à ce qu’il se passait. Elle ne vit pas Leid disparaître. Elle ne se vit pas disparaître. Elle ne vit pas la lumière aveuglante qui éclatait aux alentours, les mouvements des ombres au loin alors que les renforts arrivaient. Elle ne vit pas Tad se relever et les rattraper d’un ultime mouvement inutile.
Non, elle ne vit pas tout ça.
Elle ne vit que le noir, alors que Leid la serrait contre elle à lui en faire mal, la ballottant de droite à gauche. Elle ne sentit que le sol dur alors qu’ils s’écroulaient, incapables d’aller plus loin. Et soudain, sa vue fut libérée, elle put de nouveau comprendre ce qu’il y avait autour d’elle. Eh bien. Il n’y avait rien. Rien d’autre que les rues telles qu’elle commençait à les connaître. Le monde cuivré et chaud qu’elle venait de quitter avait fait place aux bâtiments blancs et gris où se dessinait le schéma compliqué des arbres et arbustes. Ce même dessin qu’elle avait vu à l’aller, ce même dessin qu’elle ne pensait plus revoir de si tôt. C’était comme s’il s’était passé plusieurs jours pendant qu’elle arrivait et visitait la cité, alors que ça ne faisait que quelques heures... Le matin même, elle était encore au cirque, attendant patiemment que le temps passe, furetant partout, cherchant rien mais trouvant tout. Leid se laissa tomber au sol. Twee baissa la tête en arrachant quelques herbes, au sol.
« Lied... Je m’excuse d’avoir douté. Merci... Pour tout. »
Twee n’était pas très douée pour les mercis. Mais au moins, ça venait du fond du coeur... Leid la regarda et laissa échapper un petit sourire. Il avait mal, surtout au bras, mais ça n’était pas important pour lui à cet instant. Tout ce qui importait, c’était le petit sourire de Twee et, surtout, le fait qu’elle soit encore en vie. Oui, il l’avait mené là bas. Oui, il avait accepté qu’elle passe le test, qu’elle soit emmenée et qu’on lui pose un ultimatum. Cependant, personne ne lui avait jamais dit qu’elle serait exécutée ainsi, devant tout le monde, sans attendre un instant pour tenter de la faire changer d’avis. Après tout, elle lui avait semblé bien plus précieuse qu’une pièce dont on pouvait se débarrasser à son grès. Elle était tellement prometteuse. Après, lui aussi n’était qu’une simple pièce à qui, parfois, on demandait son avis car il pouvait s’avérer intéressant. Et puis, il était manipulé lui aussi : ils ne l’avaient pas mis au courant de la dernière partie au cas où très précisément elle était mise à mort. Pour ne pas qu’il réagisse de la façon dont il avait réagi. Un goût amer lui emplit la bouche à cette pensée. Ils n’en avaient réchappé que par pure chance, et parce qu’il avait bien fait attention à ce qu’ils le sous-estiment depuis toujours. Cependant, ils en savaient plus qu’il ne l’aurait voulu. Par exemple, il aurait pu trahir Twee. Après tout, elle n’était qu’une gamine qu’on lui avait confié au détour d’un chemin. Mais s’il ne passait pas tout son temps avec elle, il avait un devoir. Le devoir que lui avait confié la mère. Au début, il n’avait pas accordé beaucoup d’importance à tout ceci. Après tout, il ne l’avait connu que quelques jours, durant lesquels elle avait tenté de le rendre redevable envers elles. Mais ensuite, tout avait changé. Elle s’était sacrifié et lui avait sauvé la vie. Car ces balles qui avaient traversé son corps malade lui étaient destiné. Il aurait du, ce jour là, mourir. Ce jour là alors qu’il était avec Twee à regarder les étoiles, la volant à sa mère en croyant la sauver, il s’était mis en danger. Et il avait failli le payer très cher. Baisser sa garde signifiait la mort, il aurait du le savoir... Cependant, il n’avait pas pu se retenir. De laisser ses sens observer les alentours au lieu d’être constamment pointés sur ce qui l’entourait, ce qui le menaçait.
« C’est normal, Twee. C’est normal... »
Il cracha quelques gouttes de sang sur le sol. Il n’avait pas de blessures sérieuses, mais une fois Tad l’avait frappé au niveau du ventre avec la garde de son arme, et l’accumulation des blessures rendait la perte de sang dangereuse. Il respirait difficilement. Ca faisait longtemps, très longtemps qu’il ne s’était pas retrouvé dans une posture aussi dangereuse. Sa vie n’était pas en danger, mais il fallait désinfecter les plaies. Il n’aurait pas craché non plus sur quelques anti-douleur. Twee lui attrapa le bras et l’obligea à se relever. Il grogna de douleur, mais elle avait raison : ils devaient partir d’ici au plus vite. Tad était rapide, et légèrement blessée seulement : elle aurait tôt fait de sa vue de sentinelle de les repérer, et de quelques bonds les rattraper.
« Lied... Où sommes nous ? »
Il hésita à répondre, puis pointa un doigt droit devant lui :
« Là bas, c’est le cirque. Nous sommes tout à l’Ouest. Et nous devons aller au nord.
- A l’Organisation ?
- Ah, alors tu sais ? Oui. Nous devons aller là bas. C’est l’endroit où tu seras le plus en sécurité.
- Mais tu fais partie de la Communauté.
- Ils ne me tuerons pas.
- Ne pouvons nous pas simplement retourner au cirque ?
- C’est trop loin. Trop dangereux. Mad Circus est l’endroit le plus neutre de cette ville, mais du coup le plus infesté de complots. Tu aurais tôt fait d’y mourir. »
Elle n’avait jamais vraiment vu la situation ainsi. C’était étrange de se dire qu’elle serait plus en sécurité chez ceux que Leid considérait comme des ennemis. Cependant, ce n’était pas aberrant : ils avaient, eux aussi à ce qu’elle avait compris, besoin d’elle. Elle soutint Leid en essayant d’avancer droit vers le nord. Chemin faisant, elle lui posa quelques questions. Elle voulait comprendre...
« Lied... Pourquoi suis-je si importante ?
- Parce que tu peux survivre.
- Mais tout le monde peut survivre !
- Non, Twee. On ne peut pas faire passer l’Opération à tout le monde. Seuls ceux qui se proposent. Et ceux qui sont sélectionnés.
- Je ne me suis pas proposé.
- Pour toi, c’est différent. Tu n’es pas d’ici.
- Mais qui est d’ici ? Ce ne sont que des personnes qui sont arrivées ici par hasard !
- Oh non, pas le hasard. Ils ne sont que peu à n’avoir pas fait partie de l’Organisation ou de la Communauté avant le retournement. Tu n’es pas loin d’être unique, Twee...
- Reste-t-il si peu de personnes sur terre ?
- Je l’ignore. Je suppose que certains se sont rassemblé dans certains endroits, comme les grandes villes de New York, Los Angeles, ou très sûrement en Palestine.
- New York, Los Angeles ? La Palestine ?
- Les deux premières car ce sont d’immenses villes. La Palestine à cause de son caractère religieux. Tu ne connais pas la religion... C’est quand un groupe de personnes croit en une ou des entités supérieures qui gouverneraient ce monde.
- Un peu comme la communauté avec moi ? »
Cette réponse rendit Leid mal à l’aise. C’était exactement ce qu’il s’était passé, sauf que Twee n’avait jamais eu le choix de croire ou pas. On lui avait seulement imposé un chemin, et le seul acte de rébellion qu’elle avait envisagé avait failli se solder par sa mort. Leid se demanda pourquoi ils avaient été si prompt à vouloir l’éliminer.
« Quels sont les critères de sélection à l’Opération ?
- L’Obéissance, et la Survie. Ce sont les points clés.
- ... Je ne me rappelle pas avoir été obéissante.
- Tes points de survie sont déjà bien assez élevés.
- On dirait un jeu. Avoir les capacités suffisantes. Comme si c’était gravé dans du granit. Tu es un... Opéré ?
- Oui. On nous appelle les Boucliers, comme les opérés de l’organisation sont les armes. Ca nous donne le sentiment d’être dans le droit chemin. Ce qui est totalement faux, bien entendu.
- Faux ?
- Dans cette guerre, Twee. Personne n’a raison. C’est juste une haine folle entre deux groupes qui a dégénéré. Une folie.
- Que cela fait-il d’être un Bouclier ?
- ... J’espère que tu ne le sauras jamais. Nous ne sommes plus totalement humains. Mais pas totalement des monstres.
- Je ne comprends pas.
- Tant mieux. »
La conversation s’arrêta là. Il y avait plein d’autre choses qu’elle aurait voulu savoir, mais elle ne pouvait plus avancer et parler en même temps. Le soleil frappait fort, malgré les nombreuses ombres générées par les arbres et les bâtiments, et Twee se rendit compte de nouveau qu’elle n’avait plus l’habitude de la route. Cette dernière, aussi explosée qu’elle l’était deux, trois, quatre ans auparavant, était difficile à parcourir. Lied ne voulait rien dire, ne laissait rien échapper, mais il s’appuyait sur Twee pour marcher et n’avait pas le pas sûr. S’ils continuaient ainsi, ils en avaient pour des heures avant d’atteindre l’Organisation. Twee s’arrêta et pointa un bâtiment :
« Arrêtons nous ici. Tad ne peut pas voir à travers les murs, n’est-ce pas ?
- Non, mais regarde le sang que j’ai perdu... C’est comme indiquer notre position avec des fanions rouges, pour elle. Elle a été particulièrement bien réussie, comme bouclier, tu sais ? Continuons. »
Twee soupira. Ils n’étaient peut être pas loin, mais c’était difficile. Elle se remit en marche, lentement, sûrement.
« Ne t’inquiète pas, Twee. Ils devraient bientôt nous repérer, et sûrement nous récupérer, un peu comme avec Tad. Enfin, je suppose. »
Rassurant. Elle espérait simplement qu’ils ne prendraient pas le parti qu’elle ne valait pas le coup, ou qu’ils ne croient pas qu’ils essayaient d’envahir la base de l’intérieur, ou ça pourrait devenir problématique. Cependant, elle continua juste d’avancer sans dire un mot. C’était la seule chose à faire. Longtemps, ils marchèrent.
De tout le temps qu’elle avait passé sur la route, elle ne se souvenait pas d’avoir passé un jour aussi triste et morne. Oh, la vie n’était pas belle tous les jours, et certains hivers la route vous semblait aussi attirante qu’une pièce gardée par un chien tricéphale. Mais il n’y avait pas cette tension, ce froid silence, cette attente. Si Tad débarquait, ils ne pouvaient que mourir. Si Tad débarquait, elle ne ferait qu’une bouchée d’eux. Et s’ils n’étaient pas repérés avant la tombée de la nuit, ils seraient obligés de s’arrêter, la route étant impraticable de nuit. Et s’ils s’arrêtaient, ils seraient découverts. De plus, les bruits commençaient à devenir effrayants. Twee n’avait jamais eu très peur de ce qu’elle pouvait entendre, son esprit rationnel lui indiquant qu’il ne s’agissait là que de quelqu’insecte ou animal errant, si ce n’était le vent dans les branches. Mais en cette fin d’après midi, alors que le jour baissait lentement, tout devenait effrayant. Lorsqu’on sait qu’une personne capable de vous tuer en moins de temps qu’il ne faut pour le dire vous suit, chaque bruit devient effrayant, révélateur d’une présence malsaine. La voyant réagir à chaque son, Leid passa sa main dans ses cheveux et les ébouriffa doucement.
« N’aies pas peur, Twee. La peur n’évite pas le danger. »
Pas de « On ne risque rien » ou de « Je te protègerai » dégoulinant, non, juste le bon sens. Ca ne servait à rien d’avoir peur. Cependant, parfois, on ne choisit pas d’avoir peur... Twee tenta de se détendre un peu. Y réussit légèrement. Elle regarda autour d’elle. Il commença à neiger lentement, de gros flocons blancs les entourant rapidement. Il n’y avait pas de vent, les flocons tombaient à la verticale et sans un bruit. C’était comme s’ils invoquaient le silence, car dès qu’il commença à neiger, l’ambiance sembla devenir plus feutrée, plus agréable. C’était comme si un voile de silence venait de se poser autour d’eux.
Voile de silence qui fut brisé par la voix douce de Tad.
« Enfin, vous voilà. J’ai mis plus de temps à vous trouver que je ne l’aurais dû. »
Twee et Leid tournèrent tous les deux la tête pour l’apercevoir qui les observait, calme. Elle n’avait pas à s’agiter : elle ne risquait ainsi que de faire des erreurs, alors qu’ils étaient à portée de main. Lied poussa Twee qui vacilla mais recula de quelques pas. Même dans cet état, c’était lui qui possédait le plus de chances de gagner contre Tad. Elle n’était qu’un handicap. C’était frustrant, mais elle en avait conscience. Leid se tenait à moitié avachi en avant. Il savait se battre, mais n’avait pas souffert de blessures depuis longtemps : la douleur s’oublie, la résistance s’amoindrit. Et puis, l’épaule de Tad était bandée mais il savait que ce n’était que de la poudre aux yeux : elle avait bénéficié de médicaments et n’avait plus rien. L’occasion était trop importante pour qu’on puisse se permettre de l’envoyer combattre blessée. Même si l’ennemi était Leid, blessé et armé d’un simple couteau. Tad sauta souplement au sol, soupira.
« Leid... Arrêtons ça. Je ne veux pas te tuer. Tu sais que je n’ai pas envie de te tuer. Rentrons ! Si la petite accepte, j’ai ordre de ne pas la tuer. Seulement de vous ramener. Mais si tu résistes...
- Tad, c’est toi qui ne comprends pas. Elle ne sera jamais d’accord... Elle n’est pas comme nous.
- Pas comme nous ?
- Non. Elle est forte. Et c’est pour ça qu’ils la veulent.
- Désolé Leid. Je ne comprends pas.
- C’est pour ça que tu es sentinelle, Tad.
- Je t’emmerde, Leid. Je t’emmerde. Et désolée... »
Agressive et désolée à la fois... C’était un curieux mélange. Elle plaça sa lame devant elle. Leid attrapa son poignard et le tint fermement dans sa main. Il suffisait de pas grand chose, un rien, une erreur pour qu’il puisse gagner. Lorsqu’elle s’était retrouvé à terre, devant lui, il aurait du la tuer : leurs problèmes auraient été réglés. Mais non, il savait que quelles qu’aient été les circonstances, il n’aurait pas pu la tuer. C’était une amie avant tout... Ou en tout cas, elle l’avait été. Et visiblement, elle n’avait plus de telles préoccupations à présent. A vrai dire, c’était sa tête aussi qu’elle jouait : les Boucliers étaient rares et précieux, mais on leur faisait très vite savoir que s’ils n’obéissaient pas, il était simple de se débarrasser d’eux. Qu’ils étaient utiles mais pas nécessaires. Tad savait parfaitement cela, et ne s’en offusquait pas : pour elle son devoir passait avant tout. C’était surtout pour son obéissance qu’on avait accepté qu’elle passe l’Opération. Pour Leid, c’était un peu différent : c’était une expérimentation. Un Zéro, comme ils les appelaient. Lui, c’était pour sa survie qu’on l’avait modifié, qu’on avait accepté qu’il soit modifié. Et puis, ça n’était qu’un gosse comme à autre, au début, on ne lui avait pas vraiment demandé son avis... Mais c’est une autre histoire, qui vous sera conté à un autre moment, lorsque le temps sera venu. Lied serra plus fort encore le manche du coutelas. Les paris n’allaient pas en son sens : il y avait une grande probabilité qu’il meure ce soir. Cet après midi. Enfin, ce jour là. Malgré tout, il ne voulait pas lâcher de terrain. Car s’il reculait, il n’y aurait personne pour se tenir entre Tad et Twee. Et alors, ce serait la fin pour la Jeune Fille au Manteau Rouge. Tad leva lentement son arme. Elle avait la lenteur de ceux qui exécutent un numéro, de ceux qui dansent pour les autres, de ceux qui donnent du spectacle. Modifia légèrement son équilibre.
Une balle l’atteint à l’épaule.
Elle eut un cri de surprise, lâcha son arme, se jeta dessus pour pouvoir réagir à cette attaque venant de nulle part, quand quelque chose la bouscula. Elle vacilla, tenta de rétablir son équilibre, mais ce qui l’avait attaqué poussa à son avantage et lui attrapa le bras. Commença à serrer.
De forme humaine, ça ressemblait à une sorte de robot. Comme si on avait créé un humain de longues plaques blanches, rejointes par des fils électriques entourant des genoux. En fait, ça ressemblait plus à une combinaison qu’à un robot. Cette chose, faite visiblement pour le combat, devait abriter quelqu’un, et cette personne serrait dangereusement le bras de Tad. S’il continuait, elle serait sûrement incapable de l’utiliser de nouveau. La tête de la chose n’était autre qu’un casque avec une visière prenant au moins les trois quarts de la sphère, d’un bleu éclatant irisé. La chose n’exprimait aucune expression, juste une froide exécution. Elle s’arrêta de serrer, gardant juste le bras entre ses doigts métalliques. Tad ne pipait mot, son teint halé ayant fortement pâli.
« Va t’en d’ici. Ce sont les terres de l’Organisation Z. »
La voix était curieusement humaine. Féminine, sans l’ombre d’un doute, douce et piquante à la fois. Cependant, la menace était toujours réelle. Tad était en passe de voir son bras broyé par cette demoiselle qui devait faire les trois quarts de sa taille et la maintenait fermement au sol. Elle gronda doucement, à la façon d’un animal sauvage, ce qui déclencha un rire grinçant de la demoiselle en armure.
« Lâche moi. Je pars. »
Elle acceptait bien vite... Cette situation lui convenait. Elle lui permettait de rentrer à la base sans avoir tué Leid ni la petite, et ceci sans se faire réprimander non plus. C’était une sorte d’échappatoire qui s’offrait à elle. L’Arme, car c’en était sans aucun doute une, recula d’un pas, relâcha le bras qui avait tourné au bleu là où les doigts avaient fait pression. Ils ne pouvaient rien voir sous sa visière, mais Twee aurait juré qu’elle souriait, fière du résultat. Les affrontements ne devaient pas être courants, les victoires encore moins... Tad ramassa son arme et tenta d’attaquer son adversaire d’un mouvement tournant. Cette dernière réagit assez rapidement pour parer, et jeta son poing en avant pour répliquer. Cependant, Tad avait déjà disparu. Elle voulait juste tester sa force face à l’Arme, mais n’osait pas insister, pas avec une blessure pareille à l’épaule. Cette dernière saignait, et bien que Tad ne le montrait pas, elle devait souffrir horriblement. De plus, c’était la même épaule qui avait souffert quelques heures auparavant. Elle eut un sourire torve et jeta un poignard en direction de Lied avant de disparaître définitivement, trop rapide pour pouvoir être suivie par l’oeil humain. Leid ne bougea pas, écarta les bras même, s’apprêtant à recevoir l’arme, mais le robot intercepta cette dernière avant qu’il n’y ait de dégâts. Il s’agissait de la seconde arme du Magicien. Ce dernier, étonné, réceptionna ce présent étrange lorsque le robot la lui lança dans une parabole impeccable.
« Nous ne pouvons pas nous permettre de vous perdre à ce stade de l’opération, Sieur Leid. »
Le robot regarda aux alentours, puis retira son casque. Sous ce dernier, un joli minois apparut. De grands yeux verts encadrés par de longs cheveux noirs pétillèrent. C’était une jeune femme qui devait avoir dans la vingtaine, des yeux rieurs et qui éclatait de santé. Elle posa le casque contre sa hanche et leur tira la langue :
« Alors, on change de bord ? Les rats quittent le navire ? »
Twee eut une moue renfrognée. Bien qu’elle leur avait sauvé la vie, elle ne l’aimait pas. Toute cette vivacité, cette joie de vivre, c’était comme si elle n’avait pas réalisé l’état dans lequel était le monde dans lequel elle vivait. Comme si elle niait l’horreur de ce qu’elle vivait. Elle tuait des gens ! Comment pouvait-elle sourire ainsi et parler comme si de rien n’était ? Et comment pouvait-elle se moquer d’eux ?
« Oh allez, j’déconne ! Ramenez vous la couenne, tout le monde vous attend. »
Et voilà. De nouveau, on l’obligeait à faire ce qu’elle n’avait pas envie. De nouveau, elle devait suivre. Cependant, cette fois, elle ne pouvait pas refuser l’offre, pas sans mourir. Résignée, elle attrapa le bras de Leid et commença à avancer derrière la jeune femme. Cette dernière rit.
« Bon allez, je déconne, on va pas y aller à pied c’est trop loin. Notre fameux destrier nous attend derrière le coin, là bas. »
Elle se détourna et se dirigea vivement vers un bâtiment semblable à tous les autres. Cependant, elle sortit une télécommande d’une de ses poches et appuya sur un bouton. Un clic se fit entendre, désactivant ce qui devait être une illusion, et laissant ainsi apparaître un... Vaisseau. Oui, elle ne trouvait pas d’autres mots pour décrire ce qui se tenait devant elle. C’était de forme oblongue, comme une sorte d’oeuf avec des excroissances sur les côtés portant d’énormes propulseurs. Enfin, ça ressemblait beaucoup à des propulseurs. Ou à l’idée qu’elle se faisait des propulseurs. Leid appuyé sur sur épaule, elle s’approcha rapidement, intriguée. Un énorme écran prenait la première moitié du vaisseau, irisé, semblable à la visière du casque de la jeune femme. Cette dernière appuya sur un second bouton, et une porte, à peine discernable, s’ouvrit et laissa un long rectangle noir sur la carlingue immaculée. La jeune femme s’approcha et franchit d’un bond la distance pour atterrir sur le plancher de la machine. Twee s’arrêta juste en dessous de l’ouverture. Elle était bien trop petite pour entrer et aider Leid à entrer, mais avant même qu’elle ne puisse songer à une solution la jeune femme les saisit chacun par un bras et les hissa. Comme s’ils ne pesaient rien. L’Arme lui offrit un sourire et les laissa tomber au sol, referma la porte et disparut dans les tréfonds du vaisseau avec une dernière parole :
« Touchez à rien qui clignote surtout ! »
Elle se fichait ouvertement d’eux. Alors que Twee en ressortait plus énervée encore, Lied réussit à laisser échapper un petit rire. Il était en environnement inconnu, pour des raisons de survie, avec Twee, gravement blessé, et il réussissait à laisser échapper un rire. C’était inespéré. C’était quelque chose de tellement rare, que de voir Leid rire, ou sourire. Twee le tira par la manche. A leur entrée, des lumières s’étaient allumées toute seules, réagissant à leurs mouvement : il s’agissait de petites lampes incrustées dans le plafond et délivrant une teinte froide, voir glaciale. La moquette d’un bleu turquoise n’aidait absolument pas à réchauffer l’ambiance générale. Au loin, une porte qui ressemblait plus à une sorte de portail dimensionnel se refermait. Sûrement le couloir menant à la pièce servant au pilotage. Très sûrement le genre d’endroit où elle ne voulait pas aller. Lied se laissa glisser au sol. Un léger vrombissement commença à se faire doucement entendre, et le sol vibra sous leur pieds. C’était absolument irréel. Autant la cité montrait la rénovation des vestiges d’un temps ancien, autant ce vaisseau montrait la science la plus pointue poussée à son maximum. Comme s’il avait eu besoin d’un retournement pour que les hommes aient la volonté et les moyens de laisser éclater leur art. Bien sûr, ils ne le savaient pas, mais ce bijou était tout à fait unique dans son genre, parfait pour leur en mettre plein la vue. Ils se posèrent contre une paroi et se laissèrent aller. Ils étaient fatigués. La journée avait été dure. Leid s’endormit presque aussitôt, sa main droite pressée contre sa blessure au bras gauche, ses nombreuses blessures laissant échapper encore quelques gouttes de sang par moments. Son habit bleuté était imbibé de sang en de nombreux endroits. Les blessures n’étaient pas sérieuses, mais dérangeantes. La moquette était légèrement tachée, elle aussi, maintenant. Dommage. Twee alla se poser juste à côté du Magicien, se recroquevillant sur elle même et cacha ses yeux dans sa manche. Elle en avait marre d’être trimballée partout, comme un vulgaire jouet. Elle voulait avoir la possibilité de décider, de choisir ce qu’elle pouvait faire. Elle se sentait incapable de se battre, et cette incapacité l’exaspérait. Cependant, pour pouvoir décider, il n’y avait pas beaucoup de choix qui s’offraient à elle. Soit elle restait ce qu’elle était actuellement, et continuait à subir ce qu’on choisissait pour elle. Sinon, elle pouvait choisir de faire demi tour et devenir un Bouclier. Accepter. En espérant qu’ils accepteraient qu’elle subisse l’Opération. Et tout en sachant qu’ils essayeraient par tout moyen de la contrôler, et qu’elle risquait de mourir. Ou alors, troisième option, elle essayait de devenir une Arme. Cette femme, bien qu’elle semblait un peu stupide, restait humaine. Et elle était forte. Mais elle ne savait pas ce qu’était une Arme, elle ne savait pas ce qu’il se passait véritablement. Elle ne savait pas même ce qu’était véritablement l’Opération. Elle ne savait rien, ils ne disaient rien. Elle voulait savoir. Mais le savoir était visiblement réservé à ceux qui choisissaient de s’engager sérieusement dans une voie.
Le vrombissement ne cessait pas. Elle sentit que la machine sous elle bougeait, mais elle était incapable de dire dans quel sens, de quelle façon, ni dans quelle direction. Elle était simplement à l’intérieur de ce gros oeuf blanc et attendait d’arriver à destination. Comme un européen en fond de cale d’un navire en partance pour l’Amérique. Comme un animal que l’on mène vers l'abattoir. Comme un chat qu’on trimballe dans un panier pour l’emmener chez le vétérinaire ou chez les grands parents. Comme un animal de compagnie. Twee, sur ces paroles, commença à perdre doucement le fil de ses pensées. Elle n’eut pas conscience de s’endormir, ni même de se réveiller, mais c’était comme si le temps, tout à coup, était passé plus vite. Illusion, réalité ? Incapable d’aligner deux pensées cohérentes, elle posa une main au sol et tenta de se relever, chancelante. Elle avait du s’endormir, en fait, faire un micro-sommeil. Les vrombissements n’étaient plus perceptibles, ils devaient être arrêté, ou alors peut être avançaient-ils à vitesse de croisière ? C’était impossible à savoir. Leid se réveilla et poussa un grognement désarticulé, pas encore totalement revenu à la réalité. Il bougea quelque peu, avant de lever violemment ses mains devant sa figure et d’ouvrir de grands yeux ronds avant de laisser retomber ses bras en se mordant la lèvre. Avec l’adrénaline, la douleur ne perce pas toujours. Mais lorsque les muscles refroidissent, lorsque l’enjouement retombe, tout est ressenti plus vivement. A la douleur provoquée par les nombreuses coupures s’ajoute la tensions apportée par les courbatures, la paralysie partielle imposée par le cerveau, cherchant à réduire la douleur ressentie. Lied s’immobilisa, tel une statue. S’il ne bougeait pas, la douleur était moins importante. Alors il arrêterait de bouger. N’y avait-il pas de tues-douleur dans cette saloperie de vaisseau suréquipé ? Sûrement, mais personne n’avait pris le temps de venir pointer son nez pour leur en apporter, ça non. Twee ressentait elle aussi vivement dans ses muscles son activité de la veille. Elle s’étira, et commença à faire un échauffement en règle pour ne pas être dans l’incapacité d’utiliser son potentiel à sa pleine mesure. Elle aimait bien cette sensation, le petit pincement éprouvé au niveau des muscles qu’elle faisait travailler.
Elle n’en était qu’à la moitié de son activité lorsque la porte du portail transdimentionnel, la porte quoi, s’ouvrit. La jeune femme qui leur avait sauvé la vie venait d’apparaître. Elle avait délaissé son armure au profits d’habits courants, plus communs. Un simple jean, un tee shirt blanc, des habits que Twee n’avait que très peu croisé, mais qui reflétaient parfaitement l’ambiance du vaisseau. En un peu moins classe. Cette dernière s’approcha d’un pas énergique, arriva près de Twee et l’embrassa sur les deux joues, au grand étonnement de celle-ci.
« Bonjour ! Bien dormi ? On n’a pas osé vous réveiller, vous dormiez si bien. En fait, j’ai du faire pression et seul le fait que je suis une Arme a prédominé sur le coup. Ils voulaient vraiment vous emporter ! Mais j’ai pensé que ce serait mieux de vous laisser le temps de vous requinquer. Bon, Leid, va peut être falloir s’occuper de ces blessures maintenant non ? »
Ce dernier était un peu dans les vapes. La douleur, le réveil, le dépaysement, ce n’était pas une surprise. Il la regarda avec des yeux vides. La jeune femme soupira.
« Entre Twee qui ne dit pas un mot comme si j’allais la mordre et toi qui donne l’impression d’être passé sous un rouleau compresseur, ça n’est pas très gai. »
Elle semblait prendre plaisir de les appeler par leur prénom, comme si c’était un privilège. Elle s’approcha de Leid et le hissa sur ses épaules comme si ce n’était qu’un vulgaire sac de farine. Il protesta vaguement, mais serra les dents et se contenta de jeter un coup d’oeil à la Jeune Fille au manteau rouge. Cette dernière fronça les sourcils et fit la moue, une expression qui semblait constamment collée sur son visage ces derniers temps, et suivit la femme robot qui partait d’un si bon train vers une porte de l’autre côté du couloir. Cette femme, sans même avoir son armure, était capable de porter Leid comme s’il ne pesait rien et de se déplacer aisément cela faisant. Être Arme ne se réduisait visiblement pas à porter une armure et à se battre. Ce devait être la raison pour laquelle il y en avait si peu. C’était comme l’Opération. C’était quelque chose qui se savait, qui se murmurait, qui existait, mais seuls ceux qui l’avaient subi se rendaient pleinement compte de sa profondeur. La jeune fille suivait cette femme dont elle ne connaissait même pas le nom. Cette dernière passa un palier, deux, trois, s’enfonçant dans les entrailles du vaisseau comme si ce dernier était immense. A chaque porte, elle pianotait doucement sur une petite commande murale. A chaque porte, un code différent était demandé, et à chaque porte elle le fournissait sans même y penser, comme si ce n’était qu’une formalité. Elle devait bénéficier d’une mémoire phénoménale, et avoir passé de nombreuses heures à parcourir ces longs couloirs bicolore pour en arriver à un tel résultat. Leid semblait sur le point de perdre connaissance. C’était quelque chose d’assez étonnant : il ne semblait pas tant blessé. La jeune femme finit par s’arrêter devant une porte avec une grande croix rouge peinte en son milieu. Elle pianota un code plus long encore que les autres, possédant peut être deux fois plus de chiffres. La porte eut quelques secondes de retard face à la demande, et un bruit de décompression se fit entendre. La lourde porte glissa lentement dans son rail et s’ouvrit. A l’intérieur de la pièce, Twee put apercevoir un grand lit entouré de nombreuses machines. Ces dernières possédaient de nombreux boutons, plus incompréhensibles les uns que les autres.
« Combien de personnes sont nécessaires pour maîtriser toutes ces choses ? »
La jeune fille posa le corps meurtri de Leid sur la table et s’accouda à une machine avant de dévisager Twee avec curiosité.
« Le professeur avait raison, tu es vraiment une petite fille bizarre. Il s’agit de la première parole que tu m’adresses, et elle concerne un motif neutre et pratique alors que Leid se meurt à moitié à côté de nous.
- Il survivra. Combien ?
- Tu ne perds pas le nord... Je suffis, petite, je suffis. »
Le professeur ? Le professeur Vilks ? Alors il était ici. Elle suffisait pour utiliser cette, non, ces machines énormes ? C’était assez impressionnant. Elle regarda Leid. Ce dernier n’avait pas l’air très en point. La femme qu’elle ne connaissait qu’à peine pianota sur un tableau de bord. Un écran noir placé parallèlement à la table émit un faible bip. Elle siffla, les yeux étonnés.
« Wow ! Il a au moins trois côtes de cassées, une fêlée, et son bras doit le faire souffrir horriblement. Si j’avais su, j’aurais lancé le check-up plus tôt ! C’en est presque dangereux ! Moi qui croyais qu’il n’avait que quelques scratchs... »
Twee regarda les écrans avec curiosité. Toutes ces nouveautés étaient diablement intéressantes. Elle rentra dans la pièce, mais la jeune femme lui jeta un regard courroucé :
« File, va donc voir ailleurs si j’y suis. J’ai besoin d’un peu de calme pour le requinquer, t’imagines pas le bordel que c’est à cette heure-ci. Je te conseille de te reposer tant que tu en as encore le temps. Tu n’en auras plus l’occasion avant un moment... »
Twee la fixa longuement avant de sortir et de fermer la porte. Elle comprenait la nécessité, mais n’approuvait pas : comment pouvait-elle laisser Leid aux mains de l’ennemi ? Enfin, de ses ennemis. Twee, elle, n’avait pas d’ennemis pour le moment. Ni d’amis. Ou plutôt, elle ne considérait personne comme un ami. Après tout, à qui pouvait-elle se fier ? Ils l’avaient tous trahi au moins une fois. Ils ne voulaient pas lui faire confiance ? Parfait, elle ne ferait confiance à personne.
La Jeune Fille commença à avancer doucement dans le couloir. Elle ne connaissait aucun code et ne pouvait pour ainsi dire aller nulle part. Elle posa les mains sur le mur. Ce dernier était légèrement chaud, comme si la machine était vivante. Ca n’était sûrement qu’une impression, mais c’était agréable. Twee se demanda comment allait se passer l’entretien. L’entretien... C’était comme s’il elle se présentait pour un boulot. Elle s’imaginait bien arriver dans une salle remplie de visages graves et ouvrir les bras avec un grand sourire : « Bonjour, je m’appelle Twee et je sais survivre ! Il paraît que vous recherchez des gens comme moi ? » A cette pensée, elle pouffa légèrement. Ils lui couraient après parce qu’elle savait survivre, qualité qui lui avait toujours semblé naturelle et pourvue à tout le monde. Elle ne savait pas encore très bien. Elle n’arrivait absolument pas à se trouver spéciale. Elle laissa glisser sa main contre le mur et laissa échapper un grand sourire. Elle n’avait l’impression que de vivre dans l’attente de ces entrevues. Comme s’il n’existait rien entre ces deux moments. La Communauté, et l’Organisation. Elles régissaient désormais sa vie, elle n’était plus qu’un chaton entre leurs griffes. Elle eut un sourire torve. Elle ne les laisserait pas continuer longtemps. Elle n’accepterait pas de se faire mener par le bout du nez ainsi. Pour l’instant, elle n’avait pas le choix, mais elle comptait bien récupérer la main. Et pour ça, quelques idées se profilaient dans son esprit...
La porte derrière elle s’ouvrit violemment. L’intervention avait été si rapide ! A moins qu’elle n’ait perdu la notion du temps ? La femme aux cheveux noirs coupés en un carré court semblait très fatiguée. Elle se frotta les yeux et chercha Twee des yeux. La trouva. Elle lui fit un petit signe de la main et retourna à l’intérieur de la pièce. Quelques instants, Twee se demanda quelle partie de la journée il était, incapable de se rendre compte du temps qui avait passé. Elle poussa la porte qui commençait déjà à se refermer, et passa la tête. Le corps. Leid était allongé sur le lit, couvert de nombreux bandages. Sur son bras gauche, une attelle tenait le membre en place. Il dormait, ou alors il n’était plus conscient. La femme désigna les commandes du doigt :
« Regarde. Observe bien. Ici, c’est la ligne de vie, en vert sur fond noir. Le rythme est légèrement trop lent, mais ça n’est pas grave. Là, les chiffres sur le côté, c’est le taux de globules blancs dans le sang, ainsi que celui de sucre. Pas de problèmes de ce côté là, c’est juste un automatisme. Ici, sur le côté, tu peux voir des suites de chiffres. Ca a un rapport avec l’ADN, mais ce serait trop long à expliquer... »
Twee ne l’écoutait qu’à peine. Leid semblait mort ou sur le point de mourir. Sa poitrine se soulevait lentement, très lentement. Son visage était neutre, presque ouvert. Il semblait paisible. Comme si son esprit ombrageux était enfin calmé. Twee en fut effrayée. Alors c’était à ça que ressemblait la mort ? Si elle n’avait pas eu cette ligne verte sur fond noir, ainsi que le regard soucieux de celle qui les avait aidé, elle aurait vraiment pu croire que toute vie l’avait quitté. Cette dernière se massa longuement la nuque avant de reprendre la parole :
« Au fait, je ne me suis pas présentée. On m’appelle Oliver. Twee, écoute moi. Là où tu vas, ils ne te veulent pas tous du bien. Certains seraient même prêts à te faire du mal... Voir à t’éliminer, par crainte que tu ne sois un espion. Oh, nous savons que tu n’es pas un bouclier. Un bouclier comme toi n’agirait pas ainsi, au contraire, il se battrait et nous donnerait sûrement bien du fil à retordre, sans compter que tu ne te jetterais pas ainsi dans la gueule du loup. Enfin, loup, si tu avais été Bouclier, bien entendu. Ah, si les Hauts m’entendaient, qu’est-ce qu’ils diraient... On aurait plutôt envie de fuir, non ? »
Twee la regarda sans mot dire. Oliver. Ce nom, à consonance masculine, lui allait comme un gant. Elle la prévenait... Pas bonté, ou parce qu’on lui avait demandé de le faire ? Les deux, sûrement. Elle ne semblait pas méchante. Mais combien étaient-ils à ne pas sembler méchants ? Leid n’avait rien d’un monstre, il lui avait même sauvé la vie, mais pouvait-elle lui faire confiance quand même ? Ce dernier était prêt à décider de sa vie à sa place pour choisir ce qui était bon et ce qui était mauvais pour elle, sans lui donner l’opportunité d’exprimer son opinion. Il avait pensé qu’il était temps qu’elle découvre la Communauté. Il avait décidé qu’il était plus sûr de se rendre à l’Organisation plutôt que de marcher et se cacher en ville, ou même simplement retourner au cirque. Il décidait, et il l’emportait. Elle n’était pas sûre d’apprécier ça, ni de lui faire encore confiance, même si elle comprenait les décisions qui guidaient ses choix. Elle ne voulait pas qu’on la dirige, elle voulait simplement...
... Être libre.
Oui, c’était ça. Ce mot, ce concept qu’elle n’avait pas croisé depuis de longues années... Elle avait, sur la route, touché du doigt cette liberté, même si elle était attachée à sa mère. Cette dernière l’avait éduqué, et jamais n’avait eu besoin de lever la voix : Twee décidait qu’il était mieux de suivre sa mère plutôt que de s’arrêter de marcher, quel qu’en soit le prix de cette marche. Mais lorsqu’elle était arrivée au cirque, tout était devenu plus simple : il suffisait de demander pour avoir. Oh, elle n’avait pas demandé grand chose, ce qui avait rendu cet attachement encore plus discret, mais bientôt elle s’était mise à dépendre du cirque. Elle était passée en un clin d’oeil d’être libre à chaton abandonné puis à chat domestique. Et c’était lors de ces derniers jours qu’elle l’avait ressenti le plus durement. Le plus profondément. Maintenant, tout ce qu’elle voulait, c’était retrouver cette liberté qu’elle avait perdu sans même s’en rendre compte. Oliver la tira de nouveau de ces pensées. Cette femme aimait visiblement grandement parler...
« Twee, écoute moi. Tu sais qu’ils veulent faire de toi une Arme n’est-ce pas ? Il paraît que bien que tu aies du mal à lire, tu sois loin d’être stupide, je ne vais donc pas te le cacher, tu sembles assez grande pour comprendre... »
C’est ça, traite moi de personne stupide parce que je ne sais pas lire ! La jeune fille lui renvoya un regard mordant, avant de décider de lui répondre d’un ton froid et acide :
« Merci, c’est grandement sympathique de votre part.
- Bon, tu savais, je suppose. Mais je voulais te le confirmer. T’es pas obligée de mordre hein ! Donc, ils veulent faire de toi une Arme, et tu devrais accepter, vraiment. Regarde moi ! Je n’étais rien avant qu’ils me récupèrent sur le bord de la route. Un peu comme toi. »
Cette gentil jeune femme commençait sérieusement à agacer Twee. Pour qui se prenait-elle ? Elle aussi, tout à coup, elle voulait diriger sa vie ? Elle aussi, elle voulait lui ordonner de faire ceci ou cela ? Et que savait-elle de sa vie ? Peut être était-elle épanouie, au cirque, ils n’en savaient rien ! Et pourtant, tout au fond d’elle, vraiment tout au fond, tellement loin que les yeux de son coeur ne pouvaient pas même en apercevoir une étincelle, elle savait qu’elle disait vrai. Et c’était de se retrouver face à cette vérité qui la blessait. Elle n’était rien, au cirque. Aidant tout le monde, n’Etant personne. Comme la cinquième roue d’un carrosse, essentielle lorsqu’on perdait une roue, inutile la majeur partie du temps. Mais on la gardait, au cas où on en ait besoin. Twee, qui restait la plupart du temps très calme, lui jeta un regard furibond. Elle commençait même à la détester, comme elle n’avait jamais détesté personne. Elle la détestait pour sa perspicacité, et sa capacité infaillible à la mettre devant ses défauts et de les pointer du doigt en hurlant.
« Tu es trop froide pour une gamine de ton âge, vraiment, tu devrais parler un peu plus et jouer de temps en temps. Vraiment, c’est super cool de jouer ! Je pourrais t’apprendre des tas de jeux, je suis sûre qu’on s’entendrait bien. »
Non, pas vraiment, elle ne pensait pas. Parce qu’elle était jeune, elle devait se comporter comme une gamine ? Twee préféra soupirer et ignorer cette bruyante compagnie. Elle commença à faire le tour de la salle, essayant de deviner quel objet servait à quoi. C’était particulièrement difficile de par le fait qu’elle ne savait absolument pas ce qu’il était possible ou nécessaire de faire dans une salle de soin. A part des bandages et des attelles, elle n’avait jamais eu besoin de rien... Ni n’avait vu quelqu’un avoir besoin d’autre chose. Les petites maladies étaient soignées à l’aide de tisanes et d’herbes ramassées ça et là, ou alors guérissaient miraculeusement au bout de quelque temps. Fruit, se rendit-elle compte, soit de la nature, soit des nombreux comprimés qu’elle apercevait à droite à gauche. Quand aux blessures plus graves... En tant qu’enfant, on ne lui avait jamais permis d’assister à une quelconque opération importante, et elle se doutait maintenant que ce n’était qu’un prétexte pour cacher l’existence d’une possibilité de soigner aussi miraculeuse. Et puis, les accidents arrivaient, mais ils étaient rares parmi ces professionnels qui étaient, pour la plupart, des êtres absolument en dehors des normes humaines... Twee allait appuyer sur un bouton quand la voix retentit de nouveau, toujours aussi agaçante :
« Hep ! Qu’est-ce que j’ai dit ? On peut visiter, mais on touche pas aux trucs qui clignotent. ce bouton clignote. D’ailleurs, je t’interdis de toucher au moindre de ces boutons : ne jamais utiliser un mécanisme inconnu sans l’avoir analysé avant ou en avoir demandé la fonctionnalité ! »
C’était le ton, presque maternel, qui l’exaspérait. Elle s’attendait visiblement à ce qu’elle demande à quoi servait ce bouton, mais Twee ne voulait pas lui donner ce plaisir : elle bougea simplement sa main sur le côté pour continuer son inspection. Tout au fond, prenant presque la moitié de la salle et séparée de la place principale par une plaque de verre, une énorme turbine avec un trou au milieu était présente. Si Twee aurait du la comparer à quelque chose, elle aurait sûrement répondu « Un gros réacteur qui n’a rien à faire là. », après tout, elle n’avait jamais vu d’IRM, n’en connaissait même pas l’existence. Elle se colla à la vitre, qui s’embua légèrement lorsqu’elle souffla dessus. L’énorme cylindre bénéficiait d’un lit. Elle se demandait à quoi ça servait, mais elle n’avait pas envie de le demander. Elle ne voulait rien demander à cette femme qui n’avait pas grande opinion d’elle et qui la traitait comme si elle la connaissait parfaitement. Comme si elle en savait plus sur Twee que Twee elle même. Et cette dernière détestait ça. Elle allait se décaler de la vitre quand la voix retentit de nouveau, comme si elle avait lu dans ses pensées :
« C’est un objet qui permet de... Comment dire... Voir l’intérieur du corps grâce à la résonance magnétique. C’est un peu compliqué, mais ça marche du tonnerre ! »
Twee l’ignora et continua son petit tour. C’était intéressant, c’était nouveau, c’était incompréhensible. Ici, des tiroirs qu’elle s’amusa à ouvrir, et qui délivrèrent des centaines de pilules de couleur, toutes différentes et classées par taille et composants. Chacune d’entre elle était annotée par un nom si compliqué qu’elle n’arrivait même pas à les lire. Elle ne comprenait pas comment c’était possible de mettre autant de consonne à la suite, avec des h partout, et d’arriver à un résultat intelligible. Elle haussa les épaules et referma le tiroir qu’elle avait tiré. Elle n’avait aucune envie d’essayer ces choses qui pouvaient, elle en était sûre, tout aussi bien la tuer que la sauver. Elle se retourna. Elle n’avait pas fait le tour de la pièce, mais elle voulait en finir. Tout de suite, elle voulait voir ce comité qui l’attendait sûrement. Comme à la Cité, elle ne voulait pas perdre son temps à regarder autour d’elle et bailler aux corneilles alors qu’il y avait quelque chose de si important à régler. Oliver la fixait, avec un air tranquille et légèrement désintéressé.
« Tu en as déjà marre ? La première fois que je suis arrivée ici, j’ai passé des heures à examiner chaque machine de fond en comble, sans même m’arrêter pour boire ou manger tant j’étais absorbée. Et toi, à côté, tu jettes un coup d’oeil et tu reviens pour qu’on te jette devant des tas de gens que tu vas devoir persuader de te considérer comme un être humain... Désires tu tant que ça un peu d’action dans ta vie ? N’es tu pas heureuse avec ce que tu possèdes déjà, tu dois te lancer dans quelque chose de dangereux pour avoir l’impression d’exister ? »
Twee pencha doucement la tête sur le côté, pensive. Peut être que c’était ça. Peut être qu’elle avait attendu trop longtemps, qu’elle avait passé trop de temps à regarder autour d’elle la façon dont tournait le monde, et peut être que maintenant, elle voulait que ce dernier prenne en compte son existence. Peut être qu’elle avait envie de changer les choses, de bouger, de se mesurer aux autres. Elle avait envie de devenir différente. Elle en avait marre de son rôle passif. Et si pour provoquer en elle une montée d’adrénaline elle devait se jeter dans la gueule du loup, alors elle le ferait. Elle avait oublié la sensation de peur et d’excitation qui vous prend lorsque le vent bat votre figure, quand vous voyez se profiler devant vous un avenir incertain, possiblement court. Elle avait redécouvert ça lorsqu’elle avait enfin pris la décision de franchir les frontières du cirque, et elle ne voulait pas y retourner. Elle ne voulait pas que ça s’arrête. Mais elle ne voulait pas prendre parti pour l’un ou l’autre des camps. Si seulement ces derniers acceptaient de vivre ensemble ! Ne se rendaient-ils pas compte de la futilité de leur quête ? Ils se battaient sur les fronts de technologie, d’administration, d’espionnage, d’argent, sur tous les fronts. Ils ne faisaient que perdre dans cette guerre. Et puis, elle n’avait aucune envie de se battre contre des personnes qu’elle avait apprécié, ou qu’elle appréciait encore. Que ferait-elle le jour où elle se retrouverait face au professeur Vilks ? Souhaiterait-elle l’éliminer ? C’était totalement impossible. Ce dernier ne lui avait jamais rien fait, au contraire. Quand à se battre contre la Cité, cette cité si magnifique... Elle n’y songea même pas. Lied avait semblé tellement déterminé à se battre contre Tad, mais tellement triste aussi... C’était un choix impossible.
« Bon petite, tu veux y aller ou pas ? »
Avant même que Twee ne réponde, quelqu’un frappa à la porte. Elle sursauta doucement, se tournant vivement vers l’origine du bruit. Oliver ordonna d’une injonction au visiteur d’entrer. C’était le Général Hyäne. Il jeta un coup d’oeil à Oliver, examina Twee, inspecta en quelques secondes l’état du jeune homme couché sur la table d’opération et se tourna de nouveau vers sa compatriote :
« Nous avons gagné assez de temps, Oliver. Ils ne nous attendrons plus longtemps, maintenant. »
Twee fourra ses mains dans ses poches et s’approcha de quelques pas.
« Bonjour jeune demoiselle... Préparez vos arguments, j’espère que vous savez ce que vous allez faire... Mais je suis sûre qu’une grande dame comme vous a déjà pris sa décision depuis longtemps. »
Il se moquait gentiment d’elle. C’était assez étonnant de la part d’une personne à l’allure aussi stricte et au visage aussi fermé. Oliver sembla surprise, mais ne releva pas, se contentant de pouffer, avant de désigner Lied du doigt :
« Ce dernier est incapable de nous accompagner. Il lui faudra se reposer pendant encore quelques jours au moins.
- D’accord. Allons-y. »
Ils passèrent tous les trois la porte, Le Général devant elle et Oliver derrière elle, comme s’ils ne craignaient qu’elle s’enfuie. A vrai dire, elle n’avait nulle part où aller, et elle ne se voyait pas abandonner Lied ici. Pas aux griffes de ceux qui souhaitaient sûrement le voir mort ou hors d’état de nuire. Un accident est si vite arrivé. Ils reprirent le chemin inverse à celui qu’ils avaient fait à leur arrivée... Du moins le supposait-elle : dès la première bifurcation elle fut totalement perdue. C’était comme s’il y avait des murs dans des murs ou des couloirs qui se superposaient, un véritable labyrinthe. Plusieurs fois, elle eut l’impression de reconnaître les alentours, avant de se rendre compte qu’elle était perdue de nouveau. Elle aurait été incapable de s’y retrouver toute seule. Elle se demandait combien de temps ça allait durer, lorsqu’une porte plus massive lui fit cligner des yeux. Le Général s’arrêta devant. C’était la porte d’entrée. Elle se demanda vaguement ce qu’elle allait trouver de l’autre côté. Elle s’imaginait parfaitement un bunker sombre, fait du même matériel grisâtre que les murs des bâtiments encore debout dans la ville. Quelque chose de dur, d’austère et impressionnant. Quelque chose fait pour effrayer, possédant une beauté toute militaire que le commun des mortels avait des difficultés à appréhender. Twee n’eut pas plus le temps de pousser avant ses réflexion que la porte glissa sur le côté dans un sifflement feutré.
Elle ne s’attendait pas du tout à ça. La machine était posée sur une sorte de socle, et lorsque la vue se dégagea, Twee fut devant un panorama plus que magnifique. C’était aussi grandiose que la Cité, mais à sa propre manière. Les bâtiments qu’elle pensait carrés et gris étaient en fait hauts, ronds et blancs. C’était une sorte d’antipode de la Cité.
« Au contraire de la Cité que tu as sûrement pu apercevoir plus tôt, le Bourg a été entièrement pensé et construit dans une optique d’ergonomie et de renouvellement. La Cité est un retour aux sources, le Bourg un envol vers le futur... »
Elle ne savait pas qui des deux avait dit ça. Elle était subjuguée. Elle avait adoré la Cité. Elle était impressionnée par le Bourg. Car ce dernier possédait une beauté faite de clarté et de simplicité. Pas de grands bâtiments compliqués ornés de centaines de gravures et de figures fantastiques, non, des murs lisses et qu’elle devinait doux au toucher, des flèches élancées, un côté design et nouveauté. Une ville du futur. Elle hésita quelques secondes et se lança en avant, atterrissant souplement sur le sol. Ce dernier, dur, était aussi noir que les maisons étaient blanches. Enfin, les appartements, car elle doutait qu’il n’y ait ici une maison plus grande que quelques pièces, ou un ou deux étages ce qu’elles perdaient en largeur pour les plus étriquées. C’était différent. Sur cette route, des voitures roulaient. Mais alors que la voiture de la cité qu’elle avait croisé était sympathique, crachouillante et presque erratique dans son avancée, ici chaque transporteur était minuscule et avançait rapidement, filant vers son but. Comme s’il n’avait pas le temps, comme si il fallait absolument arriver à bon port le plus rapidement possible pour ne pas qu’une catastrophe arrive. Malgré ce côté pratique, Twee trouva dommage que les habitants ne prennent pas le temps de regarder autour d’eux pour s’émerveiller sur ce qui les entourait. Etaient-ils comme elle, à la recherche d’une aventure ? Elle en doutait. Ils ne semblaient même pas heureux de la direction qu’ils prenaient.
« Tout cette évolution demande de grands moyens. Tout le monde met la main à la pâte ! »
C’était donc ça... Elle se demanda si le système d’argent avait aussi cours ici. Ca devait être compliqué à gérer. Elle allait avancer d’encore quelques pas quand une voix la héla :
« Hep, par là mistinguette. On allait quand même pas s’arrêter loin du lieu de réunion avec ce bijou ! »
C’était Oliver. Elle se retourna et jeta un coup d’oeil au vaisseau : ce dernier semblait beaucoup plus petit que ce que l’intérieur laissait penser, même s’il devait posséder au moins deux étages, voir une cale, sans oublier l’espace pour placer toute la mécanique qui lui permettait de voler. Mais elle se désintéressa bien vite quand elle s’aperçut qu’ils partaient sans même l’attendre. Ils n’avaient en fait aucune crainte quand au fait qu’elle s’enfuie. D’un autre côté, c’était techniquement eux qui avaient cherché à venir ici, vouloir en partir serait illogique. Elle se hâta et rattrapa ses guides lorsqu’ils franchirent la porte du bâtiment le plus proche. Ce dernier n’était pas aussi grand que les autres, mais plus long, parfaitement discernable. Ici pas de porte en bois avec une serrure gravée dessus, mais des panneaux qui coulissaient lorsqu’on présentait une sorte de badge magnétique. C’était comme s’ils utilisaient de la magie. Les plantes, omniprésentes partout ailleurs, n’étaient ici qu’en nombre limité. Elles bordaient la route, agrémentaient d’une touche colorée certains bâtiments, mais c’était tout. Twee n’en savait rien, mais c’était ce qu’il y avait de plus habituel, avant le retournement. les plantes, dans les villes, n’étaient présentes que grâce au bon vouloir des autorités et pour le confort visuel. Alors que partout où elle avait été jusque là, l’homme n’avait été qu’un pion obligé de se plier à son environnement. Le Cirque cultivait et aménageait la nature qui l’entourait, la Cité profitait de cette verdure pour s’embellir et relever ses tons bronze et cuivrés, mais le Bourg avait totalement soumis la nature sous sa coupe, ne l’autorisant qu’à quelques apparitions ci et là. Mais, là encore, ses réflexions furent interrompues par le départ de ses deux guides qui ne l’attendaient pas. Ils étaient pressés, maintenant.
Elle frissonna. Depuis le début, c’était la première fois qu’elle se retrouvait seule avec des inconnus. Lors de son départ, elle avait été seule, mais elle n’avait pas passé longtemps à vadrouiller en ville avant de croiser Tad, qui l’avait rapidement amené à la cité, où Leid l’avait rejoint. Où Lied, depuis, la secondait. Son absence la dérangeait. Elle était maintenant totalement incapable de se défendre face à ses adversaires si ces derniers décidaient de tricher ou d’utiliser tous leurs atouts. L’intérieur du bâtiment était au diapason de son apparence extérieur : c’était assez grand et ouvert, il n’y avait presque pas de murs, tout était en open space. Un bureau était installé contre un mur, rempli de feuilles, mais personne n’attendait derrière. Ca avait un certain caractère professionnel qui lui déplaisait un peu. Elle n’eut pas plus le temps d’explorer cette pièce qu’elle n’avait eu le temps d’explorer la maison dans la cité, comme s’ils protégeaient ce qu’ils avaient : elle suivit avec empressement Oliver et le Général vers de grandes volées d’escalier. Ils gravirent un, deux, trois étages. Les couloirs se ressemblaient tous, pourtant ce fut sans hésitation qu’ils se dirigèrent vers une porte toute simple, et l’ouvrirent. De nouveau, tous les visages se tournèrent vers elle lorsqu’elle franchit la porte. Elle était l’activité du moment, ce qui les préoccupait tous. Elle était ce petit grain de sable qui venait titiller la mécanique. Elle aperçut tout de suite le vieil homme, l’Astrologue, qui lui fit un petit signe de main. Elle remarqua aussi Monsieur Loyal qui lui rendit un sourire triste. Il était aussi présent à la Cité, se rappela-t-elle. Elle devina qu’il était l’homme neutre. Celui qui n’avait pas le droit de prendre parti. Elle n’enviait absolument pas sa position : il ne devait pas avoir beaucoup d’amis entre toutes ces traitrises et les décisions qu’il devait être forcé de prendre. Elle aperçût aussi plusieurs tête connues. Autant de têtes importantes qu’à la cité, très exactement. Un équilibre presque parfait des forces en fonction. Dans un coin, Dummy, les yeux fermés, ronflotait doucement, provoquant un bruit de fond presque agréable. Tous les visages inconnus qui la dévisageant renvoyaient une mine curieuse. Certains se teintaient en plus d’une animosité mal dissimulée ou même affichée ouvertement, alors que d’autres semblaient prêts à la prendre en pitié, cette petite gamine aux cheveux blonds cendrés et aux grands yeux bleus qui les regardait d’en dessous de son manteau rouge...
« Bienvenue parmi nous. Prends donc un siège, mets toi à l’aise... Je suis le Docteur Zack. Twee, je te présente l’Organisation : tu as devant toi, que tu connais déjà, le Professeur Vilks, ainsi que... »
Il commença en un long monologue à déclamer les noms et fonctions globales de toutes les personnes présentes. L’introduction était tout à fait différente de celle dont elle avait été sujet dans la Cité, cependant elle avait une curieuse impression de déjà-vu. Elle s’avança d’un pas mais resta debout devant la table. Elle ne faisait pas partie d’eux. Ils étaient tous ensemble, et elle était seule contre eux. Ils avaient le droit de s’asseoir, mais elle, elle devait rester debout. Elle doutait qu’ils ne l’attaquent ou ne fassent d’autres choses du genre, mais personne n’est jamais sûr de ce qu’il peut arriver. Elle écouta avec attention, mais ne retint pas même la moitié des noms. Ils ne signifiaient rien. Après tout, elle n’aurait peut être jamais besoin de les utiliser. Le Général se tenait debout derrière le chef de l’assemblée, raide, alors qu’Oliver était allé se poser sur une chaise, jouant à se balancer sur les pattes arrière de celle-ci. Twee porta toute son attention sur celui qui lui parlait. C’était un homme que, de nouveau, elle ne connaissait pas. Il semblait plus âgé que la moyenne, et ses yeux de glaces dénotaient un esprit vif et agile. Sa voix était posée et grave, il semblait ne pouvoir jamais rire. Il était tout habillé de noir, une tenue très classe composée d’un ensemble et d’une cravate bleue foncée. Ici, tout le monde semblait penser que le bleu, le rouge et le vert étaient les seules couleurs acceptables en tant que cravates, si on mettait de côté les résidents du Cirque. Ces derniers, en effet, étaient pour la plupart habillés comme ils l’étaient tous les jours : décontractés, étonnants, originaux. Comme si cette réunion n’avait rien d’important pour eux. Twee revisita son jugement : après tout, peut être étaient-ils habillés comme d’habitude, cependant ça ne signifiait pas pour autant qu’ils ne lui prêtaient pas attention. Ca n’était pas lié, il n’y avait aucune raison qu’il y ait un lien de cause à conséquence.
L’homme s’arrêta de parler et lui fit un petit sourire, comme s’il cherchait à la mettre à l’aise. Ce fut tout à fait étonnant : son visage jusque là froid sembla se réchauffer, son visage se plissa doucement et sembla rayonner. Qu’un simple sourire puisse ainsi changer autant un visage était quelque chose de merveilleux. Mais Twee ne s’y laissa pas prendre et choisit de garder une expression neutre. Montrer qu’elle n’avait pas peur et qu’elle était sûre de ce qu’elle faisait.
« Bonjour, et merci. Je vous remercie de votre attention et des efforts que vous faites. »
Elle hésita. Devait-elle poser des questions ? Se montrer intéressée ? Plutôt que de faire ou dire une bêtise, elle préféra se taire. Comme souvent. Le vieil homme reprit la parole :
« Twee, nous savons que tu traverses une période difficile. Autour de toi, de nombreuses personnes te hâtent de choisir une voie et de t’engager dans quelque chose que tu ne maîtrises pas. Mais nous pouvons t’aider. Nous pouvons t’offrir l’opportunité de bénéficier de l’aide de toute notre Organisation.
- Que devrais-je faire en échange de cette aide ?
- Oh, pas grand chose : nous ne demandons que ton soutien. Tu garderais bien entendu une part de liberté, ta voix conterait plus que celle des autres, telle que compte plus celle d’Oliver, de Thanahante ou Elios. »
Thanathante et Elios. Quels noms étonnants. Elle présuma qu’ils s’agissait d’Armes. Elle ne les avait jamais vu au cirque. Peut être y avait-il différent types d’Armes ? Et peut être, du coup, y avait-il aussi plusieurs types de Boucliers ? C’était une question qui méritait qu’on se penche dessus, mais elle n’en eut pas le temps, la conversation continuait et elle se devait de l’analyser parfaitement :
« Que me ferez vous si je refuse ?
- Nous t’offrirons la possibilité de rester ici, au Bourg.
- Et si je refuse cette alternative ?
- Il n’y a pas d’autres alternatives, gamine ! »
Elle se retourna. C’était une femme qui avait parlé, cette fois, une qu’elle ne connaissait pas.
« Suis-je la seule ici à ne pas vouloir discuter avec une enfant de, quoi, quatorze ans, pour arriver à une solution ? Cette... Jeune fille n’arrive même pas à comprendre le cadeau qu’on lui fait ainsi que l’opportunité que c’est que de devenir une Arme ou même habiter au Bourg ! Certains tueraient pour avoir cette chance !
- Doucement, Noëlle. Je sais que tu n’es pas la seule. Mais cette jeune fille a montré par le passé qu’elle ne souhaitait pas forcément ce que tu appelles une opportunité. »
Déjà vu, encore. Toujours, un réfractaire. Toujours, une personne ne bénéficiant pas d’assez de patience pour que le meneur puisse parler en paix. On avait l’impression de se retrouver au milieu d’une bande de loups, mais des loups si mal élevés qu’ils ne se respectaient pas même entre eux. Mais Noëlle, contrairement à ce qu’elle pensait, ne chercha pas à pousser plus loin la discussion et se rassit. Comme si quelques paroles avaient suffi. Elle n’était pas calme pour autant, mais elle ne se rebiffait pas.
« Twee, si tu ne veux pas rester, nous te laisserons partir. Seulement, je pense bon de te rappeler que certaines personnes souhaiteraient te voir morte dans cette ville, et que c’est toi même, avec ton compagnon, qui êtes venus ici pour requérir notre aide. »
Elle ne répondit rien. Ces paroles, pleines de bon sens, la touchaient bien plus que les arguments sucrés du dirigeant de la Cité.
« En quoi consiste le fait de devenir une arme ? »
Le dirigeant lui adressa un second sourire.
« C’est bien naturel de ta part de t’enquérir de ceci. Une Arme est en fait un être tout à fait humain dont nous modifions le corps. Un groupe de scientifiques étudient ton corps et décident quelles modifications sont envisageables en fonction de plusieurs critères, physiques et mentaux.
- Combien de temps est nécessaire ?
- Dans ton cas, aucun. »
Bien. Innocents, mais pas trop. Elle se doutait qu’ils avaient récupéré des informations. Depuis longtemps.
« Bon, nous ne pouvions pas t’approcher énormément et nous devons nous baser principalement sur ce que le professeur Vilks nous rapportait, et c’est donc très incomplet. Cependant, si tu nous laisse quelques heures, nous aurions tôt fait de régler cela. »
L’expérience la tentait. Vraiment. Elle songeait à tout ce qu’il était possible de faire si seulement elle devenait une Arme.
« Que ferez vous si je me révolte en tant qu’Arme ?
- La rébellion est passive de mort, Twee, quel que soit le pays où tu te trouves. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. »
Elle n’était pas sûre de comprendre parfaitement cette dernière phrase. Seulement, elle était sûre d’une chose : elle ne pourrait jamais être aussi libre qu’elle le souhaitait sans avant devenir plus forte. Et les conditions ici étaient largement plus à son avantage que pour l’Opération.
« Y a-t-il des risques ? »
Il y eut quelques secondes de flottement avant que le Docteur Zack ne réponde :
« Oui. Nombreux. Plus nombreux encore que pour l’Opération où parfois certains survivent sans que leur corps ne soit modifié. Ici, c’est quitte ou double : ça vit ou ça meurt. Et les statistiques ne sont pas particulièrement encourageantes. »
Twee regarda les visages autour d’elle. Ils attendaient sa réaction.
Elle allait accepter.